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Appels à contributions
L'amour, les amours

L'amour, les amours

Publié le par Université de Lausanne (Source : Patrick Ténoudji)

L’Amour, les amours

Appel à contribution pour un numéro de 2017 de la Revue des sciences sociales

Remise des manuscrits avant le 25 novembre 2016

Coordination : Patrick Schmoll

 

Amour(s) ? Le dédoublement du titre dans son pluriel ne fait pas que sacrifier à l’artifice rhétorique permettant d’embrasser, dans une même thématique, à la fois une forme idéale et la pluralité de ses manifestations ou déclinaisons. Sans oublier qu’amour est l’un de ces curieux mots de la langue française qui se comporte au masculin quand il est singulier et au féminin quand il est pluriel, on soulignera que le passage du singulier au pluriel s’opère au prix d’un glissement de sens, presque une trahison : les amours (si elles sont multiples) répondent-elles aux exigences de l’Amour (avec un grand A : unique) ?

Plus étrangement encore, l’amour au singulier dissimule derrière l’usage d’un terme unique une multiplicité de sentiments, qui vont du désir et de la passion (l’éros des Grecs) jusqu’à l’amour désincarné de Dieu pour ses créatures, en passant par l’amitié, l’attachement entre parents et enfants, ou l’amour du prochain. À l’inverse, « nos » amours, pourtant plurielles, resserrent étonnamment le champ sémantique du mot au seul cas de figure des relations que nous entretenons avec une personne à la fois, et impliquant la sexualité.

« Les » amours nous inciteraient donc en première approche à traiter de l’amour comme de la forme sociale et culturelle que se donne la sexualité dans l’humain. La diversité des genres amoureux (platonique, courtois, romantique, libertin…), la multiplicité des catégories de sentiments qui y sont associés (attirance, passion, tendresse, confiance…) et leur variabilité d’une société et d’une époque à une autre, affectent jusqu’à la définition de ce que l’on doit entendre par « amour ». Ils signalent en tous cas un construit humain qui imprime ses variations à ce qui serait autrement l’invariance biologique du sexe (lequel n’est, du coup, plus du tout invariant dans notre espèce).

Cependant, l’Amour, au singulier et souvent avec un grand A, désigne aussi des formes qui ignorent la sexualité ou affirment s’en affranchir : amour courtois, amour platonique, amitié… Et, du reste, les dispositifs, codes, scripts, rituels de la rencontre amoureuse ne garantissent pas une issue dans l’automatisme biologique du rut, bien au contraire : ils ont souvent pour caractéristique d’inventer des circuits compliqués qui retardent et contournent la satisfaction bêtement et joyeusement mammifère de nos dispositions, au point de se justifier par eux-mêmes et souvent de rendre cette satisfaction impossible. L’amour semblerait même exalté par les interdits et les détours qu’il se donne pour durer, devenant invocation, récit, théorie, dont la mythologie et la littérature font depuis toujours leur profit. L’histoire de l’amour est-elle autre chose que l’histoire des histoires d’amour ?

C’est donc d’une forme (une figure, un idéaltype…), de ses effets sur les usages, de ses transformations en cours, que se propose de traiter ce numéro de la Revue des sciences sociales : l’Amour avec un grand A, celui dont un Roland Barthes a si bien su décrire le discours, mais saisi dans ses tensions et ses contradictions avec « les » amours effectives de Madame et Monsieur Tout-le-monde.

La pertinence de ce numéro repose sur le constat d’un écart, en l’affaire, entre idéal et pratiques réelles. Le modèle romantique continue à exercer sa prépondérance dans la littérature, au cinéma, dans la publicité, et les études régulièrement commanditées par la presse sur ce thème confirment que l’amour, entendu en ce sens, reste une valeur centrale pour nos contemporains. Mais la figure d’un lien privilégié (unique, exclusif, éternel) avec l’âme-sœur a, dès les origines de cette figure, été contredite par la pratique plus ou moins répandue de l’infidélité. Cette réalité de nos relations, qui est celle du multiple, du pluriel, est devenue depuis quelques décennies visible et revendiquée : engagement à durée déterminée et sous réserves dans la relation ; multiplication des divorces ; baisse du nombre des mariages ; parcours individuels rythmés par la succession de liaisons courtes, parfois menées en simultané ; vies de couple devant faire une place aux « ex » ; recombinaisons complexes des liens au sein des familles recomposées ; émergence de formules de vie à plusieurs partenaires… Les sites de rencontre en ligne les plus connus continuent à se soutenir d’un discours promettant l’âme-sœur, alors que ceux qui les fréquentent font l’expérience, recherchée ou obligée (du fait des propriétés du dispositif), d’une polygamie en réseau.

Toutes les disciplines des sciences humaines et sociales sont invitées à contribuer à ce numéro, ainsi que celles des lettres et humanités.

On cherchera à décrire ces transformations et à en identifier les facteurs : allongement de l’espérance de vie impliquant d’avoir à ménager, si elle est maintenue, une vie en couple plus longue ; évolution des mœurs et des valeurs ; sollicitations par les récits et images portés par la publicité, la littérature, le cinéma ; influence des pairs dans les groupes adolescents ; multiplication des possibilités de rencontre offertes par les loisirs et par les moyens de déplacement et de communication (Internet, téléphonie mobile…).

Les recherches comparatives entre sociétés, cultures et époques différentes s’attacheront à ne pas perdre de vue ce qui spécifie un construit né en Europe, et qui accompagne la formation de l’individualité moderne : alors que le sentiment amoureux (la passion a fortiori) est, dans nombre de traditions, peu ou pas pris en compte dans la négociation des mariages, voire considéré comme un facteur de désordre social, nos sociétés sont les premières à déployer un modèle qui place le sentiment amoureux et le libre choix des partenaires au-dessus de toute autre considération.

Cet amour duel, exclusif, est-il une forme « solide », qui perdure, affirmée comme référence et horizon de vie, à travers les transformations que l’on observe aujourd’hui dans la sexualité, l’évolution des rapports de genre, le couple, la famille ? Ou bien l’exaltation même du modèle est-elle son chant du cygne, l’expression d’une nostalgie éprouvée pour un pays imaginaire dont nous nous éloignons ? L’amour exerce-t-il ses effets d’idéal d’autant plus fortement qu’il est perdu ou impossible ? Les pratiques présentes annoncent-elles de nouveaux modèles, de nouvelles définitions de l’amour ?

Enfin, l’antagonisme entre discours amoureux et réalité vécue appelle des études en nuances. Les amours plurielles ont longtemps valorisé les hommes et stigmatisé les femmes. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les approches devront être vigilantes aux différences selon le genre, sans pour autant se réduire à une lecture de la domination d’un genre par l’autre. De même, les discours sur l’Amour, qu’ils soient d’ailleurs romantiques ou au contraire libertins, font l’impasse sur le statut social des partenaires dans la réalité, qui est loin d’être indifférent. Qui sont les gens qui s’aiment, et qui sont ceux qui prétendent ne pas vouloir tomber amoureux ?

 

Les articles, 40 000 signes et blancs maximum, sont à adresser, avec les illustrations éventuelles (certifiées libres de droit) et un résumé d'une dizaine de lignes, sous format numérique, à Patrick Schmoll et à Patrick Ténoudji, rédacteur en chef de la revue avant le 25 novembre 2016. Les consignes de présentation sont téléchargeables sur le site de la Revue des sciences sociales :
http://www.revue-des-sciences-sociales.com. Merci de nous faire parvenir dès à présent une déclaration d’intention avec un titre provisoire.