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Appels à contributions
Ahmadou Kourouma : mémoire vivante de la géopolitique en Afrique

Ahmadou Kourouma : mémoire vivante de la géopolitique en Afrique

Publié le par Emilien Sermier (Source : Jean-Francis Ekoungoun)

Commémoration du 10e Anniversaire de la disparition d’Ahmadou Kourouma

Appel à contribution pour un ouvrage collectif

 Ahmadou Kourouma : mémoire vivante de la géopolitique en Afrique

Sous la codirection de Jean-Fernand Bédia et Jean-Francis Ekoungoun

 

Dans son ouvrage Géopolitique de la Côte d’Ivoire, sous-titré Le désespoir de Kourouma (collection Perspectives géopolitiques, Paris, A. Colin, 2005, 315 p.), Christian Bouquet prévient dès l’incipit que « le cas de la Côte d’Ivoire semble accumuler toutes les difficultés de l’analyse géopolitique africaine : les facteurs de crise y sont multiples et s’entrecroisent à la fois dans le temps et dans l’espace. Les grilles de lecture atteignent leurs limites lorsque la rationalité de nos schémas de pensée est prise en défaut. En même temps, le décalage culturel dont parle souvent Laurent Gbagbo pour justifier l’inexplicable, est intellectuellement inacceptable mais ne peut pas être totalement occulté. »

Que ce professeur de géographie et ancien conseiller à l’ambassade de France à Abidjan rende un vibrant hommage à Ahmadou Kourouma, cela peut paraître légitime. Toutefois, le caractère polémique de son essai dénote toute la complexité des problèmes et des prises de positions qui ont profondément divisé les universitaires et les intellectuels, tel qu’en témoigne la journaliste Olivia Marsaud : « Victime des déchirures identitaires qui saignent son pays depuis le 18 septembre 2002, [Ahmadou Kourouma] a été régulièrement la cible, pendant tous ces mois de crise, de certains journaux ivoiriens. Accusé de sympathie avec la rébellion qui contrôle la moitié nord du pays, la presse a été jusqu’à remettre en cause sa nationalité ivoirienne. L’écrivain a pris position, c’est vrai, contre l’ivoirité :"une absurdité qui nous a menés au désordre" »[1]

Face à une réception politiquement correct de son œuvre, Ahmadou Kourouma a dû lui-même insister sur la dimension géopolitique de sa production littéraire à travers cet extrait d’un texte inédit retrouvé dans ses archives :

 

Rappelons quelques points de l’histoire de l’humanité. Pendant près de cinq siècles, les hommes de l’Afrique noire ne furent pas considérés comme des hommes. Des hommes ayant les droits humains ; ils furent soumis à l’esclavage. C’est-à-dire considérés comme des bêtes. Leur continent fut soumis au pillage systématique et à commencer d’abord par les humains. – Après ces cinq siècles d’esclavage, la colonisation s’est abattue sur l’Afrique. Les colonisateurs avant de prendre possession du continent se sont partagé l’Afrique. Ce partage a été fait à la règle, sans tenir compte des limites naturelles et tribales. La colonisation ; on peut l’appeler l’esclavage sans chaîne dans le pays. Puis vinrent les indépendances. Nous n’avons pas eu de chance ; les indépendances sont tombées en pleine guerre froide et au lieu de retrouver la liberté entière nous fûmes donnés mains et pieds liés à des dictatures sans foi ni loi. Nous venons d’échapper à la guerre froide, à nos dictatures il y a moins de dix ans avec la chute du mur de Berlin. Nous sommes en train de nous battre pour obtenir nos frontières naturelles. A la lutte pour obtenir des frontières naturelles s’est ajoutée celle pour obtenir la démocratie. La lutte pour la conquête de la démocratie et des frontières naturelles suite à la chute du mur du Berlin entraîne les nombreuses guerres civiles avec leurs lots de misères qui désolent notre continent  actuellement.

Le propos et la force de cette analyse font de Kourouma, l’un des écrivains et géopolitologues dont la réception critique de l’œuvre reste à construire de ce point de vue.

Ecrire pour Ahmadou Kourouma est à la fois une nécessité, une réponse à des défis et un acte de témoignage. Son Œuvre rend plus sensible la question du devoir de mémoire – l’esclavage, la traite des Noirs, la résistante africaine, la colonisation, les Indépendances, le post-colonialisme, les guerres, la démocratie –, sous l’angle de la géopolitique, pour mieux comprendre le monde contemporain et particulièrement l’Afrique, ses mutations socio-historiques, ses problèmes identitaires et sa place dans la mondialisation actuelle : « En Afrique, celui qui veut travailler doit prendre appui sur l’Histoire pour donner un ton sérieux à son travail. Moi, mes projets sont historiques et qui m’analyse ainsi m’aura compris », A. Kourouma dixit.

Aujourd’hui, l’Afrique est confrontée à des menaces sécuritaires d’ordre géopolitique : le processus de démocratisation enraillé au Maghreb ; les interventions de l’armée française en Côte d’Ivoire, en Lybie, au Mali ; la résurgence des idéologies anti-impérialistes qualifiées à tort ou à raison de mouvements fanatico-religieux ou de groupuscules terroristes ; l’impuissance de l’Union Africaine plombée par des problèmes de leadership etc. ; autant de facteurs symptomatiques des luttes d’influence et d’intérêts géostratégiques en Afrique. Cette actualité de « chaos », loin de créer un sentiment de « désespoir de Kourouma » comme l’écrit C. Bouquet, doit s’interpréter tel un « piège » à surmonter par l’Afrique pour mieux construire sa relation au reste du monde.

Plus l’Afrique souffre, plus l’œuvre de l’écrivain nous interpelle d’autant que les peuples qui oublient leur histoire ou l’interprètent suivant des codes de pensée stéréotypés sont condamnés à la répéter ad aeternam.  Le but de ce livre consacré à la mémoire d’Ahmadou Kourouma est d’amplifier sa voix pour ne pas qu’elle faiblisse. Il nous faudrait relire l’ensemble de sa production romanesque en croisant les grilles d’analyse géopolitique ; sorte de téléologie cristallisant ses trois décennies d’écriture, dont l’« essentiel », pour l’auteur, semble avoir disparu au profit d’une approche longtemps fascinée par sa créativité formelle et linguistique. Les contributions devant permettre la mise à jour de la mémoire écrite d’Ahmadou Kourouma, notamment sur les questions de géopolitique en Afrique, l’appel reste ouvert aussi bien aux chercheurs des sciences sociales (littérature, histoire, philosophie, géographie, sociologie, communication) que politiques.

Les propositions de contribution (600 signes), accompagnées d’une brève présentation du rédacteur, doivent être envoyées avant le 30 novembre 2013 sous word aux adresses suivantes : levybedia@yahoo.fr (Jean-Fernand Bédia), uevah1@yahoo.fr (Jean-Francis Ekoungoun). Les articles retenus doivent parvenir aux porteurs du projet, au plus tard le 15 mars 2014.