Agnès Callu (dir.), Le Mai 68 des historiens : entre identités narratives et histoire orale
Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2010
EAN : 9782757401514
312 p.
25EUR
Présentation de l'éditeur :
Cet ouvrage, s'appuyant principalement sur les récits d'expérience d'une génération d'historiens, questionne les héritages de Mai 68 sur les outils de la recherche, la circulation des renouvellements historiques et les structures de transmissions des savoirs. Analysant les contenant des narrations, soit des biographies fabriquées a posteriori, enregistrées et, pour certaines, captées par l'image, il décrypte les discours rétrospectifs portés par des « intellectuels » sur l'impact d'un événementiel aux césures réputées décisive. Il s'interroge, en profondeur, sur les phénomènes de socialisation, à l'échelle individuelle et collective, aux imaginaires sociaux associés à des figures ou groupes générationnels, aux confluences entre interprétations historiennes et grille de lecture politisées, aux changements opérés dans les Universités et les établissements d'enseignement supérieur, aux codes qui définissent ou redéfinissent l'appréhension et l'appropriation des sciences sociales dans les années 1970.
Sommaire :
Corpus des témoins interrogés ..................................................................... 8
Avant-propos ........................................................................................................ 13
Michel ZINK
Préface
L'historien, l'événement ...................................................................................... 15
Par Jacques REVEL
PREMIÈRE PARTIE
Définition de l'objet
Du corpus à l'exploitation historienne
Problématiques et perspectives :
Cultures, Générations et Histoire orale ............................................................. 25
Agnès CALLU
La verbalisation de 68 dans la doxa intellectuelle ............................................. 37
Benoît CORVEZ et Anne-Sophie LECHEVALLIER
La représentation du discours historien sur 68, gestuelle et témoignage ..... 53
Agnès CALLU et Violette ROUCHY-LÉVY
DEUXIÈME PARTIE
68 et les intellectuels
Populations, individus et groupes sociaux
La socialisation des historiens :
de l'intra-histoire au profil scientifique ............................................................. 69
Agnès CALLU
Qu'est-ce qu'un historien ?
Essais typologiques et imaginaires sociaux ....................................................... 89
Jean-François MOUFFLET et Damien RICHARD
Qu'est-ce qu'un décideur ?
Figures de hauts fonctionnaires en Mai 1968 .................................................. 101
Myriam CHERMETTE
Les étudiants vus par les historiens :
histoire d'une représentation générationnelle ................................................ 111
Gabriel SÉJOURNANT
TROISIÈME PARTIE
Identités politiques
Dire ses convictions
Conscience politique et conscience historienne :
Copénétration ou cohabitations ? ..................................................................... 125
Agnès CALLU
Trajectoires d'engagement à l'extrême gauche de deux responsables
politiques en Mai 68 : Alain Krivine et Alain Geismar .................................. 145
Julie PAGIS
« Des droites : postures et récits de réactions » ............................................... 159
Myriam CHERMETTE et Anne-Sophie LECHEVALLIER
Femmes, quels partis pris ? Féminisme et gender studies .............................. 169
Cécile FORMAGLIO et Anne-Sophie LECHEVALLIER
QUATRIÈME PARTIE
68 et les établissements d'enseignement supérieur
Engagements individuels, bouleversements structurels
L'École nationale des Chartes versus l'École normale supérieure :
dissemblances ...................................................................................................... 185
Alain DUBOIS
De l'EPHE à l'EHESS : l'esprit de la VIe Section ............................................ 197
Valérie CARPENTIER et Benoît CORVEZ
CINQUIÈME PARTIE
Les facultés françaises
Panorama
Les historiens de Nanterre : permanences et réinvention du mythe .......... 213
Damien RICHARD
Tour de France des facultés de province : spécificités et reproductions .... 225
Violette ROUCHY-LÉVY
SIXIÈME PARTIE
De l'histoire des mentalités à l'histoire culturelle
Mai 68 a-t-il eu un impact sur la médiévistique ? .......................................... 241
Jean-François MOUFFLET
L'histoire moderne : permanences et novations ............................................ 255
Alain DUBOIS
L'histoire du temps proche : évolution des champs, objets et matériaux .. 267
Agnès CALLU
Postface ................................................................................................................ 281
Daniel ROCHE
Annexes ................................................................................................................ 285
Équipe de recherche ................................................................................... 285
Conducteurs des entretiens menés auprès de quatre historiens :
Claude Nicolet, antiquiste, Michel Pastoureau, médiéviste,
Jean Delumeau, moderniste, René Rémond, contemporanéiste ......................... 286
Index ..................................................................................................................... 305
* * *
Dans le Monde des livres du 6/7/10, on pouvait lire cet article de B. Legendre:
Critique "Le Mai 68 des historiens", sous la direction d'Agnès Callu : faire l'histoire ou l'écrire LE MONDE | 05.07.10 | 16h20
Quelle influence Mai 68 a-t-il eu sur les historiens ? Comment ont-ils vécu les événements ? La révolte étudiante et ses lendemains ont-ils infléchi le cours de leur discipline ? La crise les a-t-elle poussés à penser l'histoire autrement ?
Ce livre original apporte des réponses nuancées à ces questions. Fruit d'un séminaire dirigé par Agnès Callu à l'Ecole des chartes, prolongé par un colloque organisé, en 2008, au Collège de France, il brasse les générations et les approches. De jeunes historiens ont interrogé leurs aînés, chartistes, normaliens, chercheurs, enseignants... Lesquels ont répondu avec leur sensibilité propre, à travers le prisme de leur discipline : historiens de l'Antiquité, du Moyen Age, des temps modernes et du monde contemporain.
Entre histoire orale et réflexions épistémologiques, cette mise en abyme éclaire d'un jour inédit une corporation dont on connaît les livres et les tribunes, mais qui est rarement visitée de l'intérieur.
La petite histoire de Mai 68 nous montre Fernand Braudel, le directeur des Annales, rentrant précipitamment de Chicago pour surveiller de près "sa" VIe section de l'Ecole pratique des hautes études. Elle aussi est contaminée par le virus anti-autoritariste. Jacques Le Goff est de ceux qui pensent alors que "la toute-puissance du président" doit être "limitée". Elle le sera, mais après le départ à la retraite de Braudel, lorsque Le Goff lui succédera.
Sur le fond, la plupart des historiens confrontés aux aspirations des étudiants et aux revendications de leurs jeunes collègues estiment que des réformes sont nécessaires. Seuls quelques mandarins affichent à l'égard de la contestation un net rejet teinté d'orgueil blessé. Certains continueront à dénier toute influence réformatrice au soulèvement du Quartier latin. A l'Ecole des chartes, par exemple, Emmanuel Poulle considère que, Mai 68 ou pas, l'institution aurait évolué.
"Déclic"
A Nanterre, matrice de la "révolution", nombre d'historiens jugent injustes les attaques dont ils sont la cible. Dans cette université surgie à la périphérie de la capitale quelques années plus tôt, ils ont mis en oeuvre une pédagogie novatrice qui tranche sur les habitudes de la vieille Sorbonne. Certains, amers, quitteront la fac (François Crouzet, François Caron). D'autres, comme Jean-Jacques Becker, constateront, déçus, à la rentrée de septembre 1968, que "l'atmosphère (a) complètement changé". Il faudra tout le doigté de René Rémond pour remettre le département d'histoire sur les bons rails.
L'histoire personnelle de ces historiens s'entremêle avec l'histoire tout court. Ils ne sont pas nombreux à avoir perçu, sur le coup, l'importance de l'événement. Les cordonniers ne sont pas toujours les mieux chaussés... Dans sa préface, Jacques Revel estime que ce livre illustre à merveille le "rapport complexe, inconfortable que, nous, historiens, entretenons avec l'histoire réelle".
En même temps, les événements de Mai en ont marqué plus d'un. Pierre Nora reconnaît leur devoir "le début du déclic qui a transformé totalement (sa) manière d'envisager (son) propre exercice d'historien". Quand d'autres historiens, spécialistes de l'époque moderne, estiment que lesdits événements ont simplement accéléré le renouvellement de leur discipline, qui était déjà en cours.
LE MAI 68 DES HISTORIENS. Sous la direction d'Agnès Callu. Presses universitaires du Septentrion, 312 p., 25 €.
Bertrand Le GendreArticle paru dans l'édition du 06.07.10