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Appels à contributions

"Admirable tremblement du temps": le vieillir et le créer

Publié le par Marielle Macé (Source : Marie-Christine Paillard)

Appel à contributions.

Dans le cadre de son programme " Vieillir ", le CRLMC (Université Clermont II) envisage la parution d'un volume : " Admirable tremblement du temps " : le vieillir et le créer.

C'est sous le signe d'un tableau de Poussin, L'Hiver ou le Déluge, que l'on pourrait placer cette problématique : parce que la finis mundi qu'il représente s'accorde à la thématique du vieillir, parce qu'il s'agit de l'une des dernières toiles de l'artiste, et enfin, parce que c'est dans le commentaire qu'en fit Chateaubriand que s'ancre notre réflexion : " Ce tableau rappelle quelque chose de l'âge délaissé et de la main du vieillard : admirable tremblement du temps ! Souvent les hommes de génie ont annoncé leur fin par des chefs d'oeuvre : c'est leur âme qui s'envole ". Il est bien sûr tentant de voir dans ces lignes de La Vie de Rancé un plaidoyer pro domo ; on peut en retenir en tout cas l'idée de ce supplément de beauté conféré à l'oeuvre par les infirmités du grand âge, qui éclaire d'un jour nouveau et pour le moins pragmatique la tradition légendaire du chant du cygne. Sans la renier tout à fait, le peintre voyait les choses autrement, comme en atteste sa correspondance : " Si la main me voulait obéir, j'aurais quelque occasion de dire ce que Thémistocle dit en soupirant sur la fin de sa vie, que l'homme finit et s'en va quand il est plus capable ou qu'il est prêt à bien faire... ". C'est que la beauté particulière de l'oeuvre ultime peut s'expliquer aussi par l'expérience, le savoir, une clairvoyance acquise au fil des années et à laquelle l'imminence de la mort ne serait pas non plus étrangère : " Jetzt bin ich mein eigener Kritiker geworden " écrit Grillparzer, et Corot, plus radical et plus visionnaire : " J'aperçois des choses que je n'ai jamais vues. Il me semble que je n'ai jamais su faire un ciel ". S'interroger sur cette thématique du chant du cygne, élucider le caractère poignant ou parfait de l'oeuvre dernière sans pour autant tordre le cou à la légende : telle pourra être l'une des approches de la dichotomie qui nous occupe.

Il en est d'autres, l'imminence de la mort ne suscitant pas forcément le chef d'oeuvre, mais parfois la nécessité d'une oeuvre testament : mémoires, manifeste, credo, Dialogues à déposer sur l'autel de Notre-Dame, autant d'effigies que l'on ne voudrait pas trop retouchées par la postérité. On le sait, leur réalisation prend parfois l'allure d'une course contre la mort, et cette création dans la hâte pourra également être envisagée. " Il ne me reste qu'à m'asseoir au bord de ma fosse, après quoi je descendrai hardiment, le Crucifix à la main, dans l'Eternité " : la sérénité de se voir ainsi mourir n'étant pas donnée à tous, l'inachèvement de l'oeuvre participe aussi de notre problématique. En ressortissent encore, plus gaiement, les cas de " création tardive " : qu'il s'agisse, à un âge déjà mûr, de ce que l'on pourrait appeler " le coup d'essai ou coup de maître " comme Le Guépard, ou du retour, après des années de silence volontaire, à ce que l'on a tant aimé. Ainsi d'Esther et d'Athalie, ou, en plus profane, des Péchés de ma vieillesse de Rossini.

A l'inverse des exemples précédents, il arrive que le tarissement de l'inspiration, le ressassement, les échecs ou demi-échecs viennent avec l'âge ; mais terminons sur une note plus optimiste. Altern braucht Zukunft : tel est le titre d'un volume d'essais récemment paru. Soulignons donc l'indéniable modernité d'oeuvres dont les auteurs, des vieillards, apparaissent envers et contre tout comme des hommes en avance sur leur temps, et par exemple, celle de Falstaff, dernier opéra de Verdi, où le bel canto est délaissé au profit d'une déclamation d'une souplesse et d'une liberté totale, et celle, justement, de La Vie de Rancé, que Julien Gracq analyse en ces termes : "[..] la langue de La Vie de Rancé enfonce vers l'avenir une pointe plus mystérieuse : ses messages en morse, saccadés, déphasés, qui coupent la narration tout à trac comme s'ils étaient captés d'une autre planète, bégayent déjà des nouvelles de la contrée où va s'éveiller Rimbaud... "

La réflexion pourra donc privilégier, y compris dans la fiction, les directions esquissées précédemment, soit les thématiques du chant du cygne, de l'oeuvre testament, de l'inachevé, du chef-d'oeuvre tardif, de la modernité de l'oeuvre ultime, sans exclure bien sûr d'autres perspectives. Elle ne saurait se limiter à la création littéraire.

 

Les propositions d'articles (résumé d'une vingtaine de lignes) sont à envoyer pour début octobre 2004 à Marie-Christine Paillard : mchpaillard@wanadoo.fr ou 6 rue Hallé, 75014 Paris. Les articles (entre 30 et 40.000 signes) devront être remis en mars 2005.