Essai
Nouvelle parution
A. Quella-Villéger, Evadées du harem. Affaire d'Etat et féminisme à Constantinople (1906)

A. Quella-Villéger, Evadées du harem. Affaire d'Etat et féminisme à Constantinople (1906)

Publié le par Marc Escola

Référence bibliographique : A. Quella-Villéger, Evadées du harem. Affaire d'Etat et féminisme à Constantinople (1906), A. Versaille, 2014.


Evadées du harem - Affaire d'Etat et féminisme à Constantinople (1906)
Alain Quella-Villéger


En janvier 1906, deux soeurs, Zennour et Nouryé Noury Bey, filles d’un des ministres du sultan, quittent secrètement Constantinople par le train. Elles fuient le harem. Le drame familial devient vite affaire d’État. Leur histoire haute en couleurs fait écho à ce qui est alors une grande question de société et qui le demeure pour le féminisme : la condition des musulmanes. Un journaliste français les interpelle : « Savez-vous que votre aventure est une date de l’histoire moderne ? Vous venez de briser de vos poings mignons une muraille de barbarie.

Plus d’une de vos soeurs en servitude passera désormais par la brèche. Vous êtes de grandes révolutionnaires ». Ce récit rigoureusement historique ne manque ni de secrets ni de rebondissements, et vire parfois au roman d’espionnage. Au coeur de cette histoire : Pierre Loti (1850-1923) dont on redécouvre aujourd’hui avec succès les romans, les récits de voyage, le journal intime, les dessins étonnants.

Ce récit révèle les secrets de son best-seller, Les Désenchantées. Romancier ami de la Turquie, il a fait au printemps 1904, sur les rives du Bosphore, la connaissance de trois femmes voilées (parmi elles, les soeurs Noury Bey). C'est leur témoignage sur la difficile condition de vie des femmes d’Orient qui lui inspira son roman. Désenchantées ou révolutionnaires ? En tout cas, ce sont deux figures attachantes aux destins très différents qui croisent d’autres femmes marquantes : Marie Lera, journaliste française qui signe Marc Hélys ; Grace Ellison, britannique et féministe ; la poétesse Renée Vivien ; leur complice d’évasion, Mirième.
Et des hommes célèbres : Rodin, Maurice Barrès, Claude Farrère. Une certaine idée de l’Europe : les fugitives sillonnent l’Europe, Belgrade, Nice, Paris, Venise, Londres, la Suisse, la Russie, et font la ‘‘une’’ de la presse internationale ; regards d’Orientales sur l’Occident.
 

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Dans Libération du 27 juillet 2104, on pouvait lire cet entretien de l'auteur avec M. Semo:

 

Alain Quella-Villéger: «Deux féministes avant l’heure»

Agrégé d’histoire et spécialiste de Pierre Loti, Alain Quella-Villéger a publié les Evadées du harem (André Versaille éditeur) et préfacé Notes d’une voyageuse en Turquie de Marcelle Tinayre (éditions Turquoise) sur les femmes turques en 1909.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’histoire racontée par Pierre Loti ?

Perçu comme un roman orientalisant, les Désenchantées de Loti est un livre politique, celui de la transition entre l’empire et la révolution «jeune turque» de 1908. Elle n’a pas encore commencé lorsqu’il écrit son roman, mais ses idées sont déjà là et les femmes y voient un grand espoir de changement de leur condition. Le travail sur la gestation de l’œuvre m’a amené à me plonger dans la société ottomane de l’époque et sur ce fait divers révélateur qui a nourri le roman. La fuite des deux filles de Nouri Bey, ami du sultan, est devenue une affaire d’Etat que le régime a essayé, sans succès, d’étouffer par la censure.

L’enfermement dans le harem était-il encore une réalité ?

Oui, mais sauf pour le sultan, le harem - pour la minorité de la population qui en avait les moyens - se limitait en général à une ou deux femmes avec des codes et des modes de vie très bourgeois, comme le raconte la romancière Marcelle Tinayre dans ses Notes. Le fantasme n’en continuait pas moins à perdurer en Occident, ce qui explique aussi l’immense écho de cette affaire.

Les filles de Nouri Bey étaient-elles des exceptions ?

En partie, mais ces deux jeunes aristocrates nourries de culture française étaient des pionnières révélatrices d’un sentiment montant parmi les femmes de leur génération dans l’élite ottomane. Même si de telles fuites ont été très rares. Ces deux rebelles et féministes avant la lettre annoncent ce que sera la révolution menée par Mustapha Kemal, qui supprimera le voile, imposera l’égalité hommes-femmes par le code civil et leur accordera le droit de vote.

 

Recueilli par M.S.