Essai
Nouvelle parution
A. Deneys-Tunney, Un autre Jean-Jacques Rousseau. Le paradoxe de la technique

A. Deneys-Tunney, Un autre Jean-Jacques Rousseau. Le paradoxe de la technique

Publié le par Marc Escola

Un autre Jean-Jacques Rousseau - Le paradoxe de la technique
Anne Deneys-Tunney


Paru le : 21/04/2010
Editeur : PUF
Collection : fondements de la politique
ISBN : 978-2-13-057827-7
EAN : 9782130578277
Nb. de pages : 153 pages

Prix éditeur : 16,00€


Jean-Jacques Rousseau, penseur nostalgique de la " pure nature " perdue et de la chute dans la société technique, était-il égaré dans le siècle des Lumières auquel il était foncièrement étranger ? Cette acception galvaudée d'une oeuvre qui ne peut en aucun cas être réduite à un tel cliché méritait d'être revue pied à pied.

Certes, Rousseau comprend le caractère aussi déterminant qu'irréversible de la technique pour l'homme et les sociétés modernes, et il en mesure les conséquences dans tous les domaines où elle s'impose à l'individu, pour la vie morale comme en politique. Par là, d'ailleurs, il entrevoit et en dénonce de manière prophétique les risques et les dangers. Mais en même temps, l'auteur du Discours sur les sciences et les arts, de l'Emile et du Contrat social propose une philosophie qui vise à réconcilier l'homme avec ses machines, voire selon laquelle la technique permettrait à l'homme de s'accomplir au sein des sociétés humaines.

C'est donc là un autre Rousseau qui est donné à lire : celui qui s'oppose à l'idéologie du progrès pour le progrès et du " tout technologique ", qui affirme les valeurs morales de l'autonomie et de la liberté, qui définit, bien avant les révolutions scientifiques de l'époque moderne, un ambitieux programme écologique et éthique de " précaution " (H. Jonas). Rousseau n'est-il pas un penseur du " durable " pour le XXIe siècle ?

Sommaire:

TECHNIQUE ET ENFANCE
TECHNIQUE ET MOEURS
TECHNIQUE ET HISTOIRE
TECHNIQUE ET EDUCATION
TECHNIQUE ET LIBERTE
TECHNIQUE ET ESTHETIQUE
TECHNIQUE ET ETHIQUE
POSTERITES

L'auteur:

Professeur de littérature et de philosophie françaises du XVIIIe siècle à la New York University et chercheur associé au CNRS, aux unités Centre d'étude de la langue et de la littérature française à l'âge classique, et Transitions, Anne Deneys-Tunney a édité les oeuvres de Volney et de Destutt de Tracy (Fayard).
Elle est l'auteur d'Ecritures du corps. De Descartes à Laclos (Pur, 1992) et a codirigé le numéro de la revue Dix-huitième siècle consacré à " l'épicurisme des Lumières " (PUF/CNRS 2003).

*  *  *

Dans Le Monde des livres du 18/6/10, on pouvait lire cet article:


Critique "Un autre Jean-Jacques Rousseau. Le paradoxe de la technique", d'Anne Deneys-Tunney : Rousseau technophile bien tempéré LE MONDE DES LIVRES | 17.06.10 |

Ennemi des Lumières, adversaire du progrès, critique farouche de l'aliénation de l'homme par ses outils, "sauvage" hostile à l'industrie naissante, "barbare" ennemi "des sciences et des arts" qui dégradent le corps et l'esprit - voilà comment, le plus souvent, Rousseau est présenté. Et d'ailleurs se présente lui-même. Car il ne manque pas de textes où il considère la technique comme le mal, et comme la source de tous les maux qui, au fil des siècles, ont fini par accabler l'humanité, la dénaturer et la réduire à la servitude.

35326566343963613461326136336430?&_RM_EMPTY_ L'intérêt de l'étude limpide et bien documentée d'Anne Deneys-Tunney est de montrer que cette image, sans être fausse, est à nuancer fortement. Car la question de la technique est chez Rousseau bien plus complexe, paradoxale et dialectique que cette représentation stéréotypée ne le laisse croire. Spécialiste du XVIIIe siècle, enseignant la littérature et la philosophie française de cette époque à la New York University, Anne Deneys-Tunney s'appuie, pour mettre en lumière Un autre Jean-Jacques Rousseau, sur quantité de pages de l'oeuvre où il est question des machines, de leur place positive dans l'éducation, des progrès qu'elles permettent et de l'humanisation du monde qu'elles génèrent.

Principe de précaution

Cette lecture attentive et convaincante permet de saisir combien la position de Rousseau est plus équilibrée, et plus intéressante, qu'on ne le dit habituellement. Loin d'être un technophobe fanatique et sectaire, c'est un technophile bien tempéré, précurseur du principe de précaution, attentif aux méfaits possibles des progrès, mais nullement acharné à les maudire partout et toujours. Car il est assez fin pour comprendre que si la technique est un mal, au fil de l'histoire et des circonstances, ce mal est un bien.

A ses yeux, en effet, la réunion de la nature et de la technique est possible, et productrice de liberté. A ceux qui en douteraient, on conseille de se reporter notamment à ce texte important que cite Anne Deneys-Tunney, où Rousseau décrit la Suisse : "On ne croit plus parcourir des déserts quand on trouve des clochers parmi les sapins, des troupeaux sur des rochers, des manufactures dans des précipices, des ateliers sur des torrents. Ce mélange bizarre a je ne sais quoi d'animé, de vivant qui respire la liberté, le bien-être, et qui fera toujours du pays où il se trouve un spectacle unique en son genre, mais fait seulement pour des yeux qui sachent voir."

La leçon de ce travail n'est pas seulement de confirmer que Rousseau est "homme à paradoxes plutôt qu'à préjugés". Elle est aussi de faire voir qu'il est bien plus notre contemporain que celui de L'Encyclopédie. Conscient que l'homme peut aussi bien se libérer que s'asservir dans le monde des machines, il esquisse, non pas une condamnation unilatérale, mais l'horizon d'une éthique, plus actuelle que jamais, qui parvient à protéger du progrès sans pour autant l'étouffer.

UN AUTRE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. LE PARADOXE DE LA TECHNIQUE d'Anne Deneys-Tunney. PUF, "Fondements de la politique", 154 p., 16 €.
Roger-Pol DroitArticle paru dans l'édition du 18.06.10