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30 ans de Po&sie.

30 ans de Po&sie.

Publié le par Marc Escola (Source : Martin Rueff)

La revue Po&sie a trente ans



Elle fêtera cet anniversaire et présentera le numéro 120
au centre Georges Pompidou
(Revues Parlées) le 20 juin à 19.30.


La violoniste Hiromi Kikuchi interprétera,
en un concert exceptionnel,
Hipartita de György Kurtág
(cette œuvre, dédiée à Hiromi Kikuchi, et créée en 2005 à Berlin,
a été jouée le 6 novembre 2006 au théâtre du Châtelet)

Olivier Apert et Sylvain Groud exécuteront leur pièce chorégraphique
Quand je me couche dans le temps en compagnie de David Tuil

Jean-Pierre Lefebvre et Francis Marmande feront entendre des poèmes de
Paul Celan


Michel Deguy
Robert Davreu
Hédi Kaddour
Jinjia Li
Claire Malroux
Claude Mouchard & Haydée Charbagi
Martin Rueff
Tiphaine Samoyault

liront une page.
 

« Through the arts of the conspirators and the perversity of fortune, the most sensitive love of liberty was entrapped into the support of a war whose implied end was the erecting in our advanced century of an Anglo-American empire based upon the systematic degradation of man ». Hermann Melville


« Nous avons trente ans.
Pourquoi commencer par Melville ? Pour rappeler que nous ne perdons pas de vue notre temps, son âge, et l’époque où nous sommes suspendus. La poésie, avec esperluette ou non, n’incline pas à détourner le regard. En tant que vision d’ensemble et vue sur la circonstance, elle aime et le panoramique et le détail agrandi, fût-ce d’horreur. Sans doute l’engagement (où elle ne fut pas conviée par Sartre, qui ne l’en croyait pas capable) s’est-il transformé de bien des manières – « après la révolution », et après les exterminations. Et l’injonction s’est changée en celle du témoignage, avec et après Lévi et Celan. Le pire reste à craindre.
La poésie y peut-elle quelque chose ? Qu’a-t-elle à dire encore, et en quelles langues, demande la fameuse sentence qui doutait de la possibilité pour la langue allemande de surmonter les maux qu’elle s’était infligés. Mais c’est peut-être seulement aujourd’hui que s’amorce la mutation des langages hors langue.
Poésie et…
La poésie n’est pas seule. Qu’entendre par cette irénique assertion ? Que si on la prend seule, la mettant à part plus ou moins formellement en insistant sur son isolat, il y a risque qu’elle s’efface, réduite à de l’insignifiance sociale, sans influence sur les savoirs et les entreprises, les inventions et les dispositions, plus très éloignée du ridicule où on la voit parfois à sa « petite place culturelle » et sur les rayons réservés de la bibliothèque- malgré ses protestations de « future vigueur », dans la citation obligée de Rimbaud. 
Michel Deguy

Po&sie & - ou la poésie n’est pas seule : pour fêter ses 30 ans la revue ne propose donc pas un bilan. Il y aurait certes de quoi faire : plus de 150 000 pages de pages de poésie et de poétique, de traductions et de réflexions qui constituent une formidable bibliothèque ; des numéros qui ont fait date depuis le numéro Celan (le 9) jusqu’au numéro Blanchot (112-113) au numéro Agamben/ Zanzotto (117-118) en passant par les numéros Japon (100) ou les numéros italiens (109 et 100).
Ni numéro commémoratif ni hit-parade ou best of, mais bien plutôt, nouveau bouquet, feu d’artifices : un laboratoire ouvert sur l’ensemble des connexions, branchements, rapprochements qui singularisent le travail de la revue, dans et avec la revue.


Au titre de Po&sie & musique, Claude Mouchard propose un dossier Kurtág où l’on trouvera la Laudatio de Ligeti par Kurtág mais aussi un entretien entre György et Márta Kurtag et Balint András Vargá ainsi qu’une étude précieuse d’Haydée Charbagi sur Kurtag  et Beckett. C. Malroux dialogue avec Philippe Manoury et Georges Didi-Huberman réfléchit sur la mélodie intérieure. Hédi et Fériel Kaddour reviennent sur les Dichterliebe de Heine/ Schumann.

Au titre de Po&sie et image, O. Apert discute avec le cinéaste Eugène Green qui offre quelques proses et quelques poèmes inédits ; Michael Fried commente des images en poèmes, C. Perret revient chez Duchamp ; C. Malroux discute avec Jenny Holzer.

Au titre de Po&sie & roman, Tiphaine Samoyault propose un entretien sur le roman avec O. Rolin et H. Kaddour alors que J.-Cl. Pinson questionne le rapport des genres. On trouvera aussi un texte inédit de Louis René Des Forêts sur Proust et un texte de la linguiste Banfield.

Au titre de Po&sie et danse, O. Apert offre sa nouvelle chorégraphie-poème : Talita-Khoum et C. Mouchard commente le travail de Josef Nadj qui donne des dessins.

Po&sie ouvre la question de l’habitation avec deux textes inédits de Vittorio Sereni (La maison en poésie) et de Andrea Zanzotto (Prémisses à l’habitation). Michel Deguy revient sur le culturel, G. Horst explique pourquoi il faut que Kaliningrad devienne Königsberg et X. Papaïs évoque le trafic des reliques en Auvergne. Tim Robinson cartographie la disparition des îles du Nord.

La poésie est partout dans ce numéro de Po&sie : Philippe Jaworski offre une traduction d’une esquisse de Clarel, le grand poème de Melville ; Carlo Ginzburg évoque Coleridge et propose une nouvelle lecture de The Ancient Mariner ; le grand poète chinois Yu Jian nous fait voler ; Gozo donne un poème et son commentaire, Michel Sirvent commente l’usage de la typographie chez Mallarmé, Matteo Residori explique la réécriture de la Jérusalem par Le Tasse.

Enfin, la revue « fait parler Dante » puisqu’elle propose la première traduction française d’un chapitre de la thèse que le grand juriste Kelsen consacra à la Théorie de l’état chez Dante. Irène Rosier propose quant à elle une réflexion sur le De vulgar eloquio.

Un autre fil parcourt ce numéro de la revue, moins apparent mais non moins essentiel pour qui voudrait la définir : la traduction. Les poésies de l’étranger sont à l’honneur. Chaque dossier touche ainsi une des provenances géographiques chères à la revue : l’Amérique est là, l’Italie, l’Asie, l’Allemagne aussi.

Le numéro 120 de Po&sie offre un festin à ses lecteurs. Il veut dire la vitalité de la revue et lance des projets qui se poursuivront de numéro en numéro : la danse, le cinéma, la philosophie, la musique.

Ce numéro ne regarde pas en arrière. Mais en avant.

 

György Kurtág, Laudatio pour György Ligeti

« (Derrière, dans l'angle — à droite — en haut :)

Paris, nuit de la Saint Sylvestre, 1957-58.
Café-restaurant près de la Comédie Française, avec vue sur l'avenue de l'Opéra. Nous sommes assis là tous les trois, avec Ferenc Sulyok. Minuit – concert dément de klaxons – tradition parisienne. Ligeti se lève – sort – écoute avec passion – reste muet.

(En haut – devant – à gauche :)
Veröce, mai 1993.
Nous écoutons l'enregistrement du Grand Macabre. À propos de l’Ouverture avec les klaxons, Márta remarque : « comme si c'était le Chant de la Tortue du théâtre de marionnettes ».

&


Clarel, Melville traduit par Philippe Jaworski :

Rolfe arrêta là son récit et, après un silence,
Sur Néhémie au loin dirigea les regards:
« Voyez… le marin transformé, n’est-ce pas celui, là-bas,
Qui marche d’un pas lourd ? Ne reconnaît-on pas son allure et sa mine ? »
    Le conteur était maintenant immobile entre Vine et Clarel
Toujours muets. Surgi mystérieusement des profondeurs marines,
Le serpent de Laocoon semblait, à cet instant,
Enlacer les trois hommes
Dans les anneaux luisants de son corps long et lisse.
L’homme au teint blême alors s’approche,
Mais c’est à peine s’ils le remarquent ;
On dirait un fantôme venu d’une région
Où rien n’est réel, sinon les vents qui sans fin gémissent.


&


Vittorio Sereni, La maison dans la poésie

« Peut-on en déduire légitimement qu’un rapport précis lie le poète à son temps en fonction duquel la présence de tout un milieu physique d’objets est là pour signifier une adhésion humaine, une complétude terrestre ? Et dans ce cas, un sentiment particulier de la maison permettrait-il précisément d’aller dans le sens de cette adhésion et de cette complétude ? »

&


Andrea Zanzotto, Prémisses à l’habitation

« Et pourtant, né aussi de cela, mais non pas destiné à cela, perdure en moi le désir (ou l’attente-certitude présomptueuse) d’un dire qui soit du fer. Et j’écris, j’adopte le détachement nécessaire ou j’essaie de le prendre ; je m’imagine différencié des choses et émergeant, j’imagine que j’ai des projets et que je peux les réaliser, et que les mots servent à exprimer, à mimer ou à exprimer, peu importe, une énergie, une pointe, une tête a groin qui creuse et avance à l’intérieur d’une pâte, pâte et néanmoins extrêmement dure (comme sous ces hautes pressions qui s’exercent au centre de la terre) dont elle doit se sortir aussi par l’entremise des mots. Il ne faut jamais que cette tête, ou cette pure mâchoire-groin, se retourne pour regarder vraiment en arrière : elle ne percevrait en aucun cas un corps ; au fond toute son existence, est cette poussée et cette morsure, qui ne parvient pas à déglutir et encore moins à digérer. Attention à ne pas céder à la tentation de penser à sa consistance, faite de telle sorte qu’à peine l’œil se forme-t-il dans l’effort de la regarder, elle se rend impalpable, ou mieux, elle se dissout en détails qui ne sont pas même spatialement contigus, mais bien dispersés dans une ombre de temporalités, dans des fragments de temporalité, parce que le temps véritable fait corps avec le corps qu’elle est en train de fuir, et, se faisant quanta, miettes, particules s’évaporant en fumée. »


&


Yu Jian, Flight,  traduit par Jinjia Li et S. Veg

« Décoller    quitter les révoltes et la peste    quitter les hivers neigeux sans charbon
Virer    au centre d’un long cylindre    du porc mijoté à la sauce de soja en boîte
Les mirages d’un poète pauvre    un paradis mobile    une gerbe de nuages empourprés...
Quittant toutes les vieilles habitudes des indigènes    une balle tirée vers l’avenir
Franchira bientôt les murs du temps    franchira bientôt les jours de second ordre
Grâce à ce billet d’avion de mille dollars    la belle vie apparaît dans tous ses détails
Certains comparent leur mère à une rose
Certains deviendront des éleveurs de cygnes à l’âme pure ».