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Événements & colloques
10e Séminaire Claude Simon

10e Séminaire Claude Simon

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Brigitte Ferrato-Combe)

ASSOCIATION DES LECTEURS DE CLAUDE SIMON
(Association loi 1901 – Siège social : BP 56, 75222 PARIS Cedex 05 - France)
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10 e SÉMINAIRE CLAUDE SIMON

Samedi 9 juin 2007

9 H 30 – 12 H 30

Ecole Normale Supérieure
45, rue d'Ulm – Paris 5e
Salle des Actes



« Claude Simon : Le Vent. Tentative de restitution d'un retable baroque»



9 h 30 – Aude Michard (doctorante, Montpellier ), « Visages de l'idiotie »
Discussion
10 h 30 – Jean-Pierre Daumard (Lyon), « La Mélancolie le Vent »
Discussion
11 h 30 – Microlectures : travail collectif sur un extrait du roman, présenté en annexe.


ASSOCIATION DES LECTEURS DE CLAUDE SIMON
(Association loi 1901 – Siège social : BP 56, 75222 PARIS Cedex 05 - France)
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10 e SÉMINAIRE CLAUDE SIMON

( Extrait proposé pour un travail collectif )





Non, ce n'était pas le fait de son récit, de l'apparente incohérence de sa mémoire : tout cela dut effectivement, je pense, se dérouler pour lui d'une façon presque irréelle, le temps se télescopant, s'immobilisant ou se dilatant tour à tour, et cela non pas tellement à cause de sa fatigue, de la nuit blanche (en fait il avait dormi, et longtemps : il s'en rendit compte, jetant un rapide coup d'oeil à sa montre tandis que les joues encore à demi barbouillées de savon, honteux, bégayant de nouveau, il recouvrait précipitamment le lit : il était près de midi) que de son inaptitude fondamentale à prendre conscience de la vie, des choses, des événements, autrement que par l'intermédiaire des sens, du coeur (inaptitude que nous corrigeons d'ordinaire, à laquelle nous remédions par un effort de l'esprit qui s'emploie à calfater les séquences de temps échappées à notre perception, comme dans ces exercices de vocabulaire pour classes enfantines consistant à remplacer dans une phrase les pointillés par le mot approprié, de sorte que selon la paresse, le manque d'imagination, ou l'extrême lassitude du moment, le même événement pourra, les vides une fois remplis, se présenter aussi bien sous le rassurant aspect d'une terne banalité, du déjà vu, ou au contraire d'un angoissant chaos). Et encore ceci : cette constante façon qu'il avait d'employer sans autre précision les pronoms « il » ou « elle » pour désigner n'importe quel homme ou n'importe quelle créature féminine dans une sorte de constante confusion des personnes, comme si le monde lui apparaissait à travers une sorte de myopie, peuplé d'imprécises silhouettes de bipèdes seulement différenciées par le port d'une jupe ou d'un pantalon (ainsi pour nous les noirs, les sombres, identiques formes nues, aux identiques cambrures, aux identiques crânes laineux, coulées, fondues à haute température dans un moule unique ou plutôt spontanément engendrées comme son complément, son contraire, par l'air en fusion, l'aveuglant poudroiement de lumière, et que nous pouvons voir sur les photographies ou les films des explorateurs, ne se différenciant que par le candide et orgueilleux étalage d'organes sexuels –mamelles, génitoires, pénis – impudiquement exhibés, ou plus impudiquement encore signalés à l'attention par de succincts, rituels et symboliques accessoires – cela du moins jusqu'à ce que missionnaires et trafiquants arrivent, les baptisent, et les revêtent dans les eaux même d'un Jourdain pudibond et mercantile d'informes cotonnades payables en échéances sans fin de sueur et de prières), comme si l'hostile et dangereux univers extérieur était divisé en deux grammaticaux et ésotériques principes mâles et femelles, chacun d'eux porteur, ou détenteur, ou doué, de vertus opposées et complémentaires tenant moins aux diverses individualités qu'à leur appartenance à un genre, une désinence.

Le Vent, pp. 146 -147.