Acta fabula
ISSN 2115-8037

2011
Février 2011 (volume 12, numéro 2)
Dominique Massonnaud

Balzac : un imaginaire typologique en situation

Jérôme David, Balzac, une éthique de la description, Paris : Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2010, 305 p., EAN 9782745320391.

1L’ouvrage de Jérôme David est issu d’une partie de sa thèse, soutenue à l’université de Lausanne en 2006 ; elle portait sur « la naissance de l'imagination typologique en France, dans le roman et la sociologie (1820-1860) ». Visant ainsi la saisie des formes et des enjeux des Éthiques de la description du monde social qui se mettent en place dans la période — et de l’ontologie qu’elles engagent — la perspective proposée est originale et riche de promesses lorsqu’elle s’attache ici à la production de Balzac et, en particulier, à l’ensemble de La Comédie humaine. L’œuvre est donnée comme une entreprise typologique singulière, qui porte les traces d’une évolution historique liée au type et qui contribue à sa reconfiguration, en particulier dans la décennie 1830-1840. Cette approche permet de suivre des chemins que d’excessifs clivages disciplinaires avaient pu autrefois trop borner. J. David paraît s’inscrire dans l’exemple qu’offrent de nombreux travaux récents : ceux qui révèlent ce que l’art fait à la sociologie1 ou les ouvrages de Judith Lyon-Caen qui montrent ce qu’une position historienne, très précisément définie, permet de comprendre, lorsque la littérature devient « l’objet et non le moyen du questionnement historique2 ».

2Ici, le livre propose de « sociologiser la trajectoire du romancier » et saisir le texte balzacien comme « un dispositif instituant du réel selon des critères variables de descriptibilité3 » ; l’objet étudié est alors construit moins comme « texte » que comme « pratique d’écriture » engageant « des pratiques de lecture spécifiées » plus que « l’infinité des interprétations4 ». L’auteur se situe, ainsi. Il raidit peut être un peu les postures « littéraires » qu’il aborde rapidement pour s’en détacher — « formalisme » et « esthétique » caractérisant un peu vite la « poétique », si l’on pense à ce qu’est la poétique historique, bakhtinienne par exemple. Cependant, il s’agit de se dégager de l’existant pour construire une démarche singulière : La Comédie humaine révèle alors un rapport spécifique entretenu avec les valeurs présentes, dans les cadres fluctuants de l’expérience sociale post révolutionnaire. La question porte donc sur ce que l’œuvre de Balzac « fait au monde de ses lecteurs » — comme l’indique la quatrième de couverture. Pour y répondre, il s’agit de la situer : dans le champ des fictions littéraires, des textes relevant de la littérature panoramique, des écrits historiographiques et scientifiques. L’auteur peut donc mettre en évidence des formes d’évolution et d’interactions de processus qui conduisent à la publication de La Comédie humaine. Ce projet est abordé à partir d’une position précisément déterminée, en introduction, et permet un authentique renouvellement des perspectives. À terme, il apparaît que l’éthique de la description balzacienne propose à la communauté de lecteurs qu’elle institue des règles éthiques discernables, qui paraissent ainsi marquer de façon singulière le passage à l’âge démocratique : pour les formuler en termes différents de ceux choisis par J. David — qui choisit de mimer les énoncés du décalogue — le lecteur serait appelé à une « observation participante » — telle qu’elle a ensuite été pensée par l’ethnologie — et à une vertu, que j’appellerai une forme de « prudence » — celle qui est présente dans l’Éthique à Nicomaque5 — en matière de généralisation et de jugement.

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4On ne peut que souscrire aux principes méthodiques énoncés d’emblée : lorsqu’il s’agit de ne pas effectuer une analyse à rebours et de ne pas lire dans l’objet étudié « les prolégomènes confus d’une modernité à venir dont les seuils auraient été l’aboutissement flaubertien d’une lente conquête de la littérarité et le basculement durkheimien d’un savoir encore inabouti dans la scientificité véritable6 ». Comme le rappelait Henri Meschonnic, en une formule efficace, il ne s’agit effectivement pas pour l’analyste de « voir l’après dans l’avant » : J. David se propose donc de conserver à cet égard l’heureuse vigilance que nous avons héritée de Canguilhem. L’efficacité et la pertinence du choix du « type » pour saisir les singularités de La Comédie humaine comme « description du monde social » est manifeste : la notion est effectivement symboliquement centrale dans le premier xixe siècle et elle est variable — ce que j’appellerai un « référent flottant7 » — comme l’est, de fait, la notion de « réalisme » dans la même période. Il importait donc, comme l’a choisi l’auteur, de ne pas la figer d’emblée8 mais de dégager ses acceptions et leurs enjeux, dans une approche dynamique qui fasse place à des observations saisies dans une plus longue durée. J. David suit ainsi la leçon de Bourdieu, lorsqu’il critiquait l’emploi naïf des catégories de la perception :

Communes à tous les locuteurs d’une même langue [elles] permettent donc une forme apparente de communication, elles restent toujours marquées, même dans l’usage qu’en font les professionnels, par une incertitude et une flexibilité extrêmes qui, comme le remarquait Wittgenstein, les rendent tout à fait réfractaires à la définition essentielle9.

5L’auteur reprend donc ici les textes et catégories d’Ancien Régime, propose de situer Balzac dans ses rapports et ses liens avec Diderot, Buffon ou Goethe et fait place aux travaux des historiens de la nature, aux mutations de l’historiographie ou des catégorisations héritées des Belles-lettres dans le premier xixe siècle pour cerner le « type », en mouvement. Cinq chapitres permettent d’accomplir un parcours vers une « analytique du jugement romanesque » au terme de l’ouvrage.

6Le premier chapitre s’intitule « Grouper les détails » et s’attache donc à cette « notion stratégique »10, postulant d’emblée qu’elle permet de croiser deux conceptions de la vérité : une « vérité mimétique » — entendue comme « vérité-correspondance » ou « authenticité » — et une « vérité littéraire » liée au principe de cohésion, à l’œuvre dans l’ordre du narratif. On pourrait reconnaître ici une parenté avec la démonstration présente dans le remarquable essai — assez récemment traduit — History. The Last things before the Last qui proposait en 1969 de voir une homologie entre l’Histoire et les « arts de la caméra » (cinéma et photographie). L’homologie était fondée sur une tension présente dans les deux domaines, relevant d’un même fondement ontologique : la tension entre une vérité fidèle à la réalité dont on rend compte et une vérité « formative » liée à la fonction créatrice ou re-créatrice11. L’ambivalence postulée ici par J. David lui permet d’installer le principe d’une binarité à l’œuvre dans le travail balzacien sur le type : tension ou oscillation que reprend dans la démonstration le couple de forces constitué par le roman sentimental et le roman historique. Le renouvellement des critères, dans le premier xixe siècle, permet alors de distinguer la spécificité de l’engagement ontologique du roman.

7La section suivante prend pour point de départ l’« Avant-propos » de 1842 qui « articule des savoirs divers12 » afin de situer la position balzacienne à leur égard. La confiance accordée aux assertions balzaciennes est légitimée par la présence, dans l’ensemble des textes de La Comédie humaine, d’emprunts aux domaines de la connaissance contemporaine, tels qu’ils les a convoqués dans l’« Avant-propos ». Entre des lectures qui n’y verraient que des « mots d’ordre brandis comme cautions savantes » ou des « modèles que l’art aurait tenté d’imiter », J. David fait le choix tout à fait judicieux d’entendre l’« Avant-propos » comme un texte émanant d’un énonciateur digne de confiance. Ces « savoirs attachés à la notion de typicité » sont donc considérés comme des « adjuvants intellectuels13 » dont il s’agit de comprendre le rôle et l’interaction14. Ils permettent de situer la compréhension balzacienne des savoirs mentionnés et la typicité caractéristique qui s’en dégage. L’analyse permet d’aborder trois domaines, l’histoire naturelle, la science médicale naissante et l’historiographie. Ainsi, pour en rester — dans l’espace de ce compte-rendu — aux précisions apportées concernant les historiens de la nature, J. David s’attache à resituer la position balzacienne à l’égard des thèses de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier, telles que le débat de mars 1830 les a portées à la connaissance du grand public. Entre ces deux pôles, J. David propose une sorte de moyen terme et réaffirme l’importance de Buffon pour Balzac. Sur ce point, je ferai quelques remarques : on pourrait regretter une saisie trop partielle des travaux d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. En effet, seuls sont mentionnés dans l’ouvrage les textes postérieurs à 1830. Le travail en embryologie et tératologie15 accompli entre 1811 et 1830, avec Antoine Serres ou la Philosophie anatomique des organes respiratoires, parue en 1818, importent aussi pour situer l’apport de cette pensée dans la construction de la typicité balzacienne. On peut également comprendre de plus près en quoi l’auteur de l’« Avant-propos » affirme « avoir été pénétré de ce système bien avant » la querelle avec Cuvier si l’on n’oublie pas le chaînon entre Balzac et la pensée transformiste que constitue, dès 1825, la Duchesse d’Abrantès16. La référence balzacienne au règne végétal — comme champ d’extension possible de l’idée d’unité de composition — n’est pas saisie ici dans sa référence à Pyrame de Candolle : Madeleine Ambrière-Fargeau a pourtant rappelé l’admiration et la connaissance précoce qu’a Balzac des travaux de ce botaniste transformiste17. On regrette peut-être surtout que l’analyse ne tienne pas la promesse faite en introduction et néglige à son tour d’élucider la référence à Goethe qui figure à la seconde page de l’« Avant-propos ». En effet, la lecture du « dernier article du grand Goethe »18 permettrait sans doute de considérer que Balzac ne choisit pas : ni entre Cuvier ni entre Geoffroy ou Buffon ; les trois seraient alors présents dans le dispositif que constitue La Comédie humaine mais sur des plans différents19. Malgré ces quelques réserves, l’incontestable mérite du travail effectué dans ces pages est de mettre clairement en évidence la résistance du texte balzacien face à tout systématisme démonstratif monologique.

8De fait, la légitime défiance à l’égard des tentations « de situer l’œuvre de Balzac du côté du tableau univoque et de la maxime universelle » ou — à l’inverse — « de la démembrer dans un hétéroclisme pittoresque20 » conduit ensuite l’auteur à analyser fort précisément « les entraves à la probabilité classique » que propose l’écriture balzacienne. Le type est à présent situé, par rapport aux caractères, à la maxime, telles que les Belles-lettres les ont définis. Dans cette alternative autre qui est ainsi posée — entre maxime ou principe — apparaissent certaines des transformations que subissent avec Balzac les modalités de la généralité héritées des classiques. La pratique d’écriture instaure alors une communauté de lecteurs dont « le bal de noces » de La Cousine Bette donne l’exemple. J. David montre qu’une attention plus grande aux facteurs sociaux « leste la typicité dans les derniers romans21 ». Pour poursuivre le trajet entrepris, le chapitre IV propose alors de mettre en regard le travail balzacien sur le type et les « registres d’exemplarité romanesque ». On peut ici retenir, en particulier, le lien annoncé entre l’hybridation des genres et la mise en série, qui est soulignée, à partir de l’inscription de Pierrette dans la série des « peintures du célibataire ». De fait, il apparaît que le lecteur de La Comédie humaine — ou des Études balzaciennes ? — est sollicité pour accomplir un travail de lecture comparative, qui fonde la figuralité. Si une « typicité clinique » marque les personnages balzaciens et prend les formes d’une « maladie morale » dans les romans des années 1830, ce registre moral paraît inséparable du donné social au cours de la décennie suivante. Une « différenciation coordonnée des domaines de pertinence de la description romanesque » peut ainsi être mise en évidence22. Elle présente un caractère endogène, lié au rythme d’écriture dans la période. Le dernier chapitre se propose de repérer la présence d’une causalité exogène, à l’œuvre dans cette dynamique.

9L’analyse s’attache alors aux « sociabilités littéraires et marquages politiques de l’écriture » et permet de situer Balzac dans son « insertion simultanée » dans plusieurs « mondes de la littérature », la formule faisant bien sûr écho aux « mondes de l’art » tels qu’Howard Becker les a mis en évidence23. La particularité balzacienne d’une reconfiguration du type est cernée à partir de l’analyse comparée de trois positions : celle de Nodier, en 1830 — à partir d’un article paru dans La Revue de Paris, celle d’Eugène Maron — avec un article de La Phalange en 1845 — et celle qui apparaît ensuite dans un article d’Eugène Montégut donné à La Revue des Deux Mondes en 1858. La lecture comparée permet à J. David de déterminer que « le repérage des situations analogues » permet au lecteur de La Comédie humaine d’aboutir à un effet de « généralisation romanesque »24. La pratique balzacienne proposant cette généralisation « à partir de saillances indexées » sur une prééminence du monde social25, les « typifications romanesques » étant elles-mêmes ajustées « aux horizons d’attente de publics eux-mêmes typifiés26 ». La mise en rapport de l’écriture panoramique et des romans balzaciens permet de compléter cette description. Les modalités de la description sandienne sont ensuite abordées — en particulier à propos d’Horace — afin de préciser ce qui serait une « théorie sandienne du type » fondée sur « une généralisation précaire des instincts27 » ; le « roman sentimental » associé à George Sand devenant dans la durée, selon J. David, un « roman sentimental social » sous l’influence de son engagement politique. Notons que s’il importait de donner toute sa place à Sand, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle est peut-être ici un peu trop figée et réduite, par le souci démonstratif : on pense alors à la complexité des écritures sandiennes, mise en évidence — par exemple — dans les travaux de Lucienne Frappier-Mazur ou de Nicole Mozet28 — ainsi que dans les dossiers constitués pour les volumes déjà parus des Œuvres complètes, dirigées par Béatrice Didier, chez Champion. L’analyse proposée tend en effet à situer une nouvelle fois Balzac par rapport au pôle du roman sentimental et de son historicisation. Comme l’indique la fin du chapitre, Balzac est « dans ses activités de journaliste et dans sa pratique de romancier » pris dans une tension binaire : un « effet de tenaille29 », pour citer J. David. Néanmoins, cette section du livre est particulièrement riche et réussie30. L’ouvrage conduit dans sa conclusion à une efficace mise en cause de la posture d’omniscience, scolairement attachée à Balzac ; elle est à terme invalidée par les principes de cette éthique du type, manifestée dans l’œuvre :

L’omniscience présuppose un surplomb d’où s’énonce un point de vue détaché de tout ancrage moral, politique, historique et social. Or, le dispositif balzacien procède à l’inverse : il nourrit sa vraisemblance, et peut-être plus encore la véracité d’ensemble de son « tableau », de la disparité des systèmes de valeur que la France post révolutionnaire présente aux yeux du romancier, et il repose sur l’inscription radicale de l’auteur dans cette communauté syncrétique. (p. 286)

10J’ajouterai à présent quelques commentaires, liés au statut un peu indistinct du livre, qui hésite entre histoire culturelle, approche sociologique et critique littéraire : il serait de bien mauvais aloi de faire à cette étude le reproche de méconnaître tel ou tel texte des « balzaciens » — souvent mentionnés par ce terme dans le livre — alors que celui qui écrit le fait depuis une place autre, dans une approche dont on a dit la singularité. Cependant, il faut avouer que la parution de l’ouvrage dans la collection « Romantisme et modernités » chez Champion peut induire une attente que le texte déplace ensuite, sans pour autant la décevoir. Le titre paraît en effet proposer une étude de Balzac — et de la description — dans une perspective qui pourrait être celle d’une « critique littéraire », avec laquelle le travail flirte parfois. C’est donc simplement au nom de cet ancrage disciplinaire — qui est institutionnellement le mien — et de ce déplacement de l’attente suscitée chez les lecteurs de l’ouvrage, qu’il convient d’ajouter quelques points. Les travaux des « balzaciens » sont parfois envisagés par J. David en masse — encore une fois, pour qui débute en Balzacie, le massif impressionnant que constituent de si nombreuses et souvent remarquables études peut y conduire, à l’évidence. Mais on peut regretter de trop visibles manques ainsi que les mentions — parfois un peu rapidement critiques — faites à partir d’un article seulement, sans prise en compte des ouvrages dans leur entier31. Surtout — pour être fidèle aux principes méthodiques revendiqués — on pourrait considérer que la critique balzacienne est mentionnée sans perspective suffisamment différentielle, en particulier sur les plans socio-historique, épistémologique et surtout chronologique : la mise en situation proposée de La Comédie humaine aurait pu être attentive aussi à ces Balzac successifs ou simultanés que des lecteurs — et lectures critiques fort diverses — ont construits et construisent encore.

11Pour en rester à l’ouvrage tel qu’il est donné à lire, quelques apports auraient pu contribuer à faire avancer J. David dans le programme même qu’il se propose de suivre. Ainsi l’introduction insiste, à juste titre, sur la nécessaire déprise de la lecture tainienne qui pèse encore parfois sur l’approche de Balzac — et j’ajouterai une défiance nécessaire à l’égard de « l’effet-Zola » sur nos lectures. On regrette alors que J. David n’évite pas lui-même un piège un peu grossier, qui dépare dans un travail de cette qualité : on le lit souvent, il est vrai, mais La Comédie humaine n’est pas un ensemble de romans, comme il est affirmé à maintes reprises — la fin de l’ouvrage mentionne cependant l’existence de « romans et nouvelles ». On retrouve dans cette réduction l’écho de l’Essai sur Balzac32 et son présupposé : cette systématisation générique et philosophique, unifiant les idées balzaciennes, faite par Taine et valorisée ensuite par Brunetière33. La présence de textes fictionnels variés et de textes factuels participe de la disparate propre à l’ensemble et invite à chercher ailleurs des facteurs d’unité. Tout comme les énoncés discursifs auctoriaux, qui font sortir le lecteur de l’espace-temps diégétique au sein des fictions narratives — ou inversement, les anecdotes ou exempla de la Physiologie du Mariage — participent de l’élaboration d’une « éthique balzacienne de la description ».

12Alors que la tension entre roman sentimental et roman historique est un principe explicatif récurrent dans l’ouvrage pour analyser la spécificité balzacienne en matière de configuration d’un type, les deux catégories génériques sont tout de même surtout saisies comme des pôles marqués et — à ce titre — figés dans une stabilité relative au long de la période 1820‑1840. L’étude plus précise des effets de bougé, qui déstabilisent la catégorie fixe du genre littéraire telle qu’elle reste souvent entendue dans l’ouvrage, aurait pu enrichir la perspective : on pense aux travaux de Marie-Ève Thérenty qui mettent en évidence une « poétique du support »34, prenant en compte les transformations textuelles dues aux conditions de parution dans la presse. Il serait possible d’y ajouter les effets liés au domaine de l’édition : l’existence de collections de textes historiques, les collections de mémoires par exemple, puisqu’il est question dans l’ouvrage de l’écriture historiographique et de ses variations. Alors que Jean‑Michel Adam est cité en note, on pense aux travaux — développés avec Ute Heidmann — sur la notion de « généricité » et l’on se prend alors à souhaiter que cette catégorie ait pu aider à approfondir les approches proposées. De même, un travail plus développé sur les réécritures des textes balzaciens aurait pu accompagner et ajouter encore à la démarche proposée par J. David : entre des textes parus dans la presse tels qu’ils sont disponibles dans la remarquable édition d’Isabelle Tournier35 et ceux qui constituent ensuite La Comédie humaine, dans leurs états successifs. Le travail est effectivement conduit au chapitre V, à partir des deux versions de l’« Épicier »36La Silhouette (1830) et Les Français peints par eux-mêmes (1840) — et fait regretter qu’une telle approche n’ait pas été plus précisément menée dans les sections qui précédent.

13Enfin, des travaux « littéraires » — au sens large — ouvrent aussi le chemin d’une productive rencontre disciplinaire37, en particulier avec la sociologie : je pense aux approches qui définissent « l’analyse de discours » en lui donnant « pour but d’articuler la double dimension sociale et textuelle des pratiques discursives ». En ce cas, « l’analyse de discours se définit [...] moins comme une nouvelle discipline que comme un champ de recherche interdisciplinaire38 ». L’ouvrage collectif dont je cite ici l’introduction : Sciences du texte et analyse de discours. Enjeux d’une interdisciplinarité (2005) propose à la fois des outils théoriques et des démarches pratiques. On peut retenir en particulier la possibilité de renouveler la notion d’ethos discursif grâce à une reconfiguration du concept de « posture » — hérité de Bourdieu — telle que la propose Jérôme Meizoz : « dans la mesure où les discours (littéraires ou non) sont relatifs à des postures, leur spécificité formelle relève alors non seulement de la poétique, mais aussi de la sociologie de la culture39 ». L’interaction disciplinaire paraît alors éminemment productive. Le livre de J. David reste, dans sa « posture », un petit peu en deçà de cette interaction effective, dont il donne pourtant l’idée : à la lisière, donc. La cause en est peut-être un excès de défiance à l’égard de la poétique...

14À terme, ces quelques réserves — qui sont aussi des suggestions de prolongements — ne doivent pas faire oublier les grands mérites d’un ouvrage original, intelligent et particulièrement stimulant. Il porte sans doute quelques traces des contraintes — de temps, en particulier — liées à ce que sont aujourd’hui les thèses en sciences humaines mais montre, une fois encore, la force de l’œuvre balzacienne pour la pensée ainsi que la validité des saisies d’un Balzac en situation et « en mouvement ».