Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Septembre 2008 (volume 9, numéro 8)
Marie-Claire Planche

D’Extrême-Orient et d’Occident, le livre.

Histoire et civilisation du livre, n° 3, Genève, Droz, 2007.

1La troisième livraison de la revue Histoire et civilisation du livre consacre sa première partie aux livres en Chine, permettant ainsi de rendre accessible des informations bien mal connues en Occident. Divers articles sur l’histoire du livre font suite à ce dossier. Une rubrique s’intéresse aux travaux en cours. Enfin, la dernière partie est consacrée à une importante liste classée de comptes rendus.

2Le volume ouvre sur un hommage à Henri-Jean Martin (1924-2007), rappelant ses principaux axes de recherche, et livrant quelques repères biographiques.

3Ce dossier est coordonné par Michela Bussotti et Jean-Pierre Drège qui, dans leur présentation, proposent un état de la question et font un point sur la bibliographie disponible.

4Zhang Zhiqing s’intéresse à l’origine de l’imprimerie et aux « sceaux de formules incantatoires imagées taoïstes et bouddhiques ». Il souligne d’emblée les difficultés liées à la datation de l’invention de l’imprimerie, mettant en évidence la maîtrise beaucoup plus ancienne qu’en Occident de cette technique. L’auteur montre de quelle manière les sceaux et les images religieux ont contribué à l’évolution des techniques d’impression. Les aspects historiques, religieux et techniques sont mis en perspective de sorte à familiariser le lecteur occidental peu informé.

5La période couverte par l’article de Fang Yanshou est particulièrement longue, elle s’étend « des Song aux Ming (960-1644) ». Ce sont les aspects commerciaux et le travail des libraires qui retiennent l’auteur. La première partie, chronologique, concerne surtout les différents lieux et les principes de production. Ensuite, les « produits » sont présentés : livres reliés, livres anciens ou semi-finis. Les différents systèmes éditoriaux et l’organisation du négoce sont l’objet de la troisième partie. Enfin, les évolutions du marché sont analysées, soulignant les bons  et les mauvais côtés (la diffusion culturelle / les éditions de mauvaise facture) de la quête du profit. L’article, très documenté, livre de nombreux noms d’éditeurs, d’auteurs, de marchands…

6Michela Bussotti nous renseigne sur « l’histoire du livre et l’histoire de la lecture en Chine ». L’article fait un état de la recherche et souligne d’emblée les différences d’approches selon que l’on travaille depuis la Chine ou hors de Chine. Les études chinoises privilégient les aspects techniques, tandis que les travaux occidentaux proposent davantage une « histoire culturelle et littéraire ». L’auteur souligne les manques d’informations concernant l’éducation ou la maîtrise de la lecture non seulement en raison du silence des sources, mais aussi de l’accès aux documents. Il s’agit d’un véritable point sur la bibliographie disponible, insistant sur les thématiques développées de manière très éclairante.

7« La réception au Japon des albums de peintures chinois (huapu) du XVIIe siècle », Christophe Marquet ouvre sur la période d’Édo au Japon (1600-1868). Durant cette ère, la circulation des livres étrangers est très surveillée et les ouvrages occidentaux traduits en chinois sont inégalement acceptés. Cependant, les livres de peintures chinois ont fait l’objet d’un véritable engouement. L’auteur décrit le contexte dans lequel ces livres ont été introduits et les principes qui régissent les huapu. Certains titres étaient particulièrement présents, afin de satisfaire peintres et amateurs japonais ; plusieurs albums sont ainsi présentés. Les peintures originales de certains albums ont été transposées en gravure et le Japon a ainsi contribué à la diffusion des modèles. Cette relation à la peinture chinoise conféra aux artistes japonais du XVIIIe siècle le titre de peintres lettrés. Les illustrations qui accompagnent l’article montrent la qualité de ces peintures (et de leurs transpositions xylographiées) dont on peut apprécier la finesse d’exécution et la rigueur de composition.

8Han Qi présente, au travers du procédé lithographique, « Le début de la diffusion des techniques d’imprimerie occidentales en Chine à la fin des Qing ». 1842 marque l’ouverture de cinq ports chinois au commerce international, ce qui favorisa l’introduction des procédés typographique et lithographique. Cependant, c’est après 1876 que la lithographie se développa. Le rôle des missionnaires fut essentiel, ils ont comparé les différentes techniques afin d’assurer la diffusion des Évangiles à moindre coût. Le début du XXe siècle marque l’ère de la lithographie qui s’impose face à la typographie dont le coût était plus élevé. Mais ce ne fut qu’une parenthèse dans l’histoire du livre. L’article met en avant l’importance des publications, leur diversité, le rôle de la presse et la volonté de diffuser les savoirs orientaux et occidentaux.

9Jean-Pierre Drège s’interroge sur le statut du livre aux Presses commerciales de Shanghai (1903-1937) : était-il une marchandise ? Son propos se réfère dans un premier temps aux définitions du  livre comme produit de commerce en Occident. Puis, pour apporter les nuances nécessaires au statut du livre en Chine, J.-P. Drège s’intéresse au contexte politique, aux machines venues du Japon et au développement des manuels scolaires. La production des Presses commerciales de Shangaï fut, malgré quelques avatars, exponentielle puisque son dirigeant souhaitait faire lire et vendre. Le livre fut alors considéré comme un « produit commercial » diffusé par des vendeurs compétents.

10Le dossier propose un tableau des dynasties et une carte (un peu petite) des provinces chinoises. Une bibliographie de neuf pages avec des références occidentales et orientales ainsi qu’un index viennent compléter cette partie.

11Après l’Extrême-Orient, l’Europe centrale, et plus précisément la Carniole. Anja Dular s’intéresse au commerce des livres du XVIe au début du XIXe siècle dans la partie centrale de l’actuel État slovène. La position géographique de la Carniole a fortement contribué aux échanges et le négoce avec pays voisins était prospère. Les développements historiques permettent de situer l’implantation des imprimeurs et les tâches dévolues aux relieurs. L’auteur analyse les titres proposés, les matières éditées et les langues, soulignant le rôle des périodiques dans la diffusion des listes de libraires. La place privilégiée du livre en Carniole s’est aussi trouvée renforcée par l’apparition de bibliothèques de prêt à la fin du XVIIIe siècle, ouvertes au public érudit, mais pas seulement. Un tableau répertorie les libraires et leurs périodes d’activité.

12Veronika Prochazkova analyse, « Le début de la guerre de Trente ans en Bohême d’après les imprimés de la Bibliothèque Mazarine à Paris ». L’étude porte sur cent cinquante imprimés, édités entre 1538 et 1819 et rédigés en cinq langues (latin, français, allemand, italien et tchèque). Les textes en latin et en français sont les plus nombreux (cent trente et un) et « la bibliothèque propre du cardinal comprenait dix-sept de ces titres ». Les volumes sont de diverses natures : relations, correspondances ou pamphlets. Ces textes constituent un ensemble de sources essentielles pour reconstituer la première année de la guerre (1618). Les faits et les écrits sont ainsi présentés dans l’article de manière efficace.

13Quel est ce « miracle hollandais » sur lequel ouvre l’article d’Otto S. Lankhorst ? Il s’agit tout à la fois de la prospérité de la République des Provinces-Unies et de celle des libraires qui, au XVIIe siècle, imprimaient environ la moitié de la production mondiale. L’auteur explique les raisons et les processus d’une telle fortune, rappelant aussi que la librairie hollandaise connut des périodes de déclin significatives. Si le contexte politique joua un rôle essentiel dans l’essor du livre imprimé, la création des guildes dans toutes les villes et le niveau de formation élevé des libraires ont largement contribué au rayonnement du livre hollandais.

14Marcel Lajeunesse rappelle l’histoire de la fondation du Québec en 1608 et souligne que la première presse n’est apparue sur le territoire qu’en 1764. Ces jalons posés lui permettent de présenter l’histoire du « livre en Nouvelle-France et au début du régime britannique au Canada (XVIIe et XVIIIe siècles) ». L’article souligne l’importance des institutions religieuses et explique de quelle manière les bibliothèques étaient alimentées. Malgré des besoins conséquents, la plupart des livres ont été, pendant une longue période, importés. Ces achats ont certainement freiné le développement d’une littérature propre et limité le commerce. L’apparition d’une presse pendant le régime britannique a permis de diversifier les publications et de réduire les coûts qu’imposait le livre importé. Les recherches que présente l’article sont mises en perspective avec le nombre d’habitants ; elles soulignent aussi la circulation des ouvrages grâce aux prêts et aux dons.

15Mateus H. F. Pereira nous entraîne au Brésil, à la découverte de L’Almanaque Abril, publié de 1974 à 2004. Il relate l’histoire de cette publication majeure des éditions Abril, décrivant le principe de cet almanach qui devint un véritable « ouvrage de référence des miscellanées ». Les différentes périodes de parution, les évolutions dans la mise en page et le contenu de l’Almanaque sont étudiés de manière précise. Des informations qui soulignent l’importance de ces volumes, les situant dans l’économie du livre au Brésil. L’article est complété par des tableaux comparatifs et quelques illustrations.

16La Hongrie comptait de nombreuses bibliothèques à la période moderne. Si trois mille d’entre elles sont connues par leurs catalogues, en revanche, les bibliothèques de « savants » demeurent beaucoup plus secrètes. István Monok analyse le rôle et le statut des bibliothécaires dans les institutions religieuses (protestantes et catholiques) et dans les bibliothèques privées. L’importance de leurs tâches est soulignée ; elle permit de rendre cette profession autonome à partir du XVIIIe siècle. Enfin, en 1802, c’est le don d’une bibliothèque privée qui fut à l’origine de la création de la bibliothèque nationale de Hongrie.

17Ludmila Wolfzun présente le travail du comte de Choiseul-Gouffier (1752-1817), « premier directeur de la Bibliothèque impériale publique de Russie ». Ce diplomate amateur d’antiquités séjourna dix ans en Russie avant de tomber en disgrâce. L’article s’intéresse à une période de la vie du comte trop rapidement relatée dans les ouvrages. Le travail qu’il a accompli à la bibliothèque a été souvent déprécié, certainement en raison de l’« état chaotique » des collections ; l’étude permet ainsi de rétablir une vérité.

18Cette troisième partie présente les travaux de recherche de Frédéric Barbier concernant la Nef des fous. Joyce Boro attire, quant à lui, l’attention des chercheurs sur les livres anglais du XVIIe siècle à la bibliothèque de l’université de Montréal. En les présentant, il souhaite les faire connaître afin qu’ils puissent être étudiés. Enfin, l’article de Marianne Pernoo s’intéresse au métier de bibliothécaire, tel qu’il est présenté dans les livres et au cinéma. Elle souligne l’image négative qui est trop souvent véhiculée. Un tableau rappelle que de nombreux auteurs ont été eux-mêmes bibliothécaires.

19Le volume s’achève sur un ensemble de comptes rendus classés.

20La diversité et la richesse des contributions témoignent une fois encore de la qualité de cette revue et les illustrations qui ponctuent le volume offrent un complément appréciable. Elle porte bien son sous-titre de « revue internationale » par la volonté affichée d’ouvrir le champ de la recherche ; elle pose les jalons d’une histoire du livre qui dépasse largement les frontières de l’Europe.