Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Mai 2008 (volume 9, numéro 5)
Sadi Aomar

Captifs en Méditerranée

François Moureau, Captifs en Méditerranée (XVIe -XVIIIe siècles. Histoires, récits et légendes, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, coll. « Imago mundi », 2008, 272 p.

1François Moureau nous offre une vision plutôt authentique que mythique de la captivité et de la piraterie en méditerranée du XVIe au XVIIIe siècles. Cette œuvre est le fruit de réflexions de plusieurs chercheurs issus des deux côtés de la méditerranée et de Malte. La méditerranée fut à cette époque un lieu de courses acharnées entre chrétiens et musulmans. La période choisie de cette course est située entre le régime de Charles Quint et la révolution française et l’occupation de Malte par Bonaparte qui annonce la fin de la course1 entre les deux blocs. La circulation des personnes entre les deux mondes est très fréquente mais limitée aux besoins économiques, ainsi les Maltais parcoururent la majorité des pays arabes en méditerranée, par contre les chrétiens qui se trouvèrent dans ces pays étaient presque tous des captifs.

2Et comme conséquence de ces deux courses (barbaresque et chrétienne), on voit apparaître des récits de captivité de deux côtés de la méditerranée. Des récits racontés ou écris par les captifs eux-mêmes ou par des confréries, des associations, des institutions religieuses. Ils sont souvent imbibaient de discours religieux de l’époque pour combattre l’autre : le barbaresque ou (l’infidèle) aux yeux des chrétiens, et le chrétien ou (le mécréant) aux yeux des musulmans, c’est une course de l’ordre religieux que commercial. Cependant La production de récits n’est pas équilibrée entre ces deux blocs : du côté musulman, l’existence des récits de captifs en terre chrétienne et leurs vécus est quasi nul, cela est du essentiellement d’après l’auteur au problème de conservations des documents, du côté chrétien, l’existence de ces textes est abondante : les récits de captifs deviennent à cette époque même une littérature de genre.

3Regarder objectivement la captivité est le moment le plus important dans cet ouvrage : loin de l’image terrifiante des corsaires, la captivité ne connaît pas souvent la servitude et l’esclavage, des récits mentionnaient que des grandes villes musulmanes comme Alger ou Tunis excluaient tout sentiment de xénophobie une fois q’un étranger devenait musulman, et beaucoup de captifs profitaient de ces occasions pour progresser et gagner des places plus importantes dans la hiérarchie sociale musulmane. Cependant, le chrétien comme le musulman qui sont inséparables de leur patrie refusent de nier leur foi, et plus souvent tentent l’évasion comme dernier moyen après l’échec de toutes tentatives de leur rachat. La dernière option d’échapper à l’esclavage est l’abnégation forcée et l’apostasie, mais d’autres deviennent des renégats par leur propre volonté (Giorgio del Giglio « Pannilini ») pour marchander entre ces deux blocs, et par conséquent, ils deviennent plus que l’on croyait : des médiateurs, des porteurs de messages de réconciliation, et tissent des liens entre le barbaresque et le chrétien. Captivité, Abnégation forcée, servitude et esclavage vont donner naissance à une littérature (surtout du côté chrétien) très variée qui va du simple récit à la dimension religieuse et philosophique de la captivité que l’auteur nous propose de contempler plus attentivement.

4Par cet ouvrage devisé en trois Parties où la première porte sur la description et le vécu des captif et la nature des courses (course et contre-course)¹ entre les deux blocs, où la deuxième sur le cas spécifique de Malte considérée comme le lieu par excellence de l’histoire de la piraterie et de la captivité et surtout de l’esclavage avant et pendant l’ordre, et où la troisième traite de la littérature de captivité romanesque entre renaissance et baroque dans trois pays européens (l’Italie, L’Espagne et la France), François Moureau et les autres chercheurs des deux côtés de la méditerranée tentent de cerner objectivement l’histoire et la nature de la captivité entre le barbaresque et le chrétien.

5 Hind Loukili et Nabil Mouline al-Andalousi affirment que La première course ou La captivité en terre chrétienne malheureusement n’a pas connu un grand nombre de récits, et d’histoires comme l’était celle en terre musulmane. Et parmi les hypothèses de la rareté de ces documents, voici quelques unes : les vicissitudes politiques, la mauvaise conservation des archives, le désintérêt de la classe cultivée, le culte du secret, la prééminence de l’oralité dans la traditions diplomatique arabo-musulmane, et enfin le rejet de l’autre. Les plus rares récits sont les deux textes d’Ahmed b. al-Qâdi (homme lettré marocain), captif à Malte, puis en Espagne, implorant le sultan du Maroc de le libérer. Le troisième texte appartient à une femme au nom de Lalla Fatma, adressé au sultan marocain Mawlay Sulaman (1792-1822) lui demandant de la libérer ainsi que son épouse et sa servante. L’ensemble de ces textes est généralement écris à la troisième personne, et ne s’attarde pas sur le vécu de ces captifs, mais dénoncent les conditions de détention. Par contre la rareté de ces documents ne signifie en aucun cas le manque de captifs en terre chrétienne. Entre 1767 et 1779, Muhammad b. Abdallah, roi du Maroc racheta environ mille quatre cent captifs marocains, algérois, tunisiens et tripolitains. Le plus grand négociateur musulman à cette époque était Muhammad b. Uthman al-Maknassi qui sillonna l’Europe et tout la méditerranée par l’ordre du sultan de Maroc Muhammad b. Abdallah à la recherche de rachat des captifs musulmans. Les récits de ce négociateur ne traitent pas de vécu des captifs, mais à décrire les pays européens visités, et ce dernier plaide pour une réconciliation religieuse entre les deux blocs. Vu que le Maroc est le seul Etat arabe souverain qui a échappé à la domination ottomane, les missions diplomatiques de ses rois destinées pour le rachat des captifs sont plutôt une sorte de propagande qui vise à gagner de l’admiration chez les sujets lettrés marocains, et aussi chez les lettrés des autres pays arabes, et à discréditer leur gouvernements.

6Florence Buttay-Jutier traite « une autre forme de littérature de captivité » apparue dans d’autres pays européens. Le cas le plus étonnant est celui de Giorgio del Giglio « Pannilini », renégat italien quatre fois capturé par le pirate barbaresque et deux fois renégat de la fois chrétienne. Auteurs de deux manuscrits, rédigés entre 1564 et 1579, ils tiennent à la fois de l’autobiographie, du récit de voyage, de la controverse religieuse, de l’encyclopédie et de la cosmographie. Même si les récits de Pannilini manquent de fiabilité, ils témoignent d’un désir de réconciliation entre les deux communautés, mais le but unique de Pannilini était de marchander entre le turc et le chrétien, il était aussi et sans doute un intermédiaire dans les transactions de rachat, tantôt côté turc, tantôt côté chrétien. Après avoir vécu longtemps au service du grand Turc, Dix ans plus tard, il présente sa captivité comme un martyre en terre d’Islam et comme une expérience unique qui lui a permis de mieux discerner sa foi.

7Lilian Peltre de Almeida expose « un autre visage de la captivité » (celui des Juifs) en terre chrétienne à Ferrare (Portugal), une autre grande ville accueillante à l’image de Venise et d’Amsterdam. La montée de la stricte orthodoxie poussa Samuel Usque à rédiger l’un des chefs-d’œuvre de la prose portugaise en 1533: La Consolação. C’est un récit allégorique d’une expérience collective qui traite du devenir des juifs à cause d’un éventuel prochain basculement religieux de Ferrare. C’est un texte qui traite de toutes les figures et péripéties d’une captivité douloureuse. La Consolação pose le problème du retour à la communauté d’origine après avoir nier sa religion par force. Opposée à l’église catholique qui accueille et réintègre à bras ouverts ses transfuges, La Consolação considère ce retour impossible, il ne peut y avoir lieu sauf hors de ce monde, le texte est à la fois réel et symbolique qui traite de la captivité des âmes (transmigration des âme, et immortalité des peines) et celle des corps, il est rédigé en portugais mais juif par patience. Codé par le dialogue entre des personnages allégoriques qui ne sont en réalité que des anagrammes des noms de prophètes juifs, le texte est un rejet du catholicisme et qui assimile la situation nouvelle de Ferrara à celle des anciens juifs d’Egypte et met l’exil de Portugal dans la diachronie biblique. Il pose le problème de ceux qui sont déjà partis en exile en Italie ou en Asie, et de ceux qui n’ont pas la chance de fuir et pour qui, il n’y a qu’une seule possibilité : durer les peines. Dès le début, le texte fait l’éloge de Ferrare, et il s’achève par un hymne à la grande Turquie qui offre l’hospitalité aux juifs de tout l’Europe en leur assurant la liberté de culte et de vie.

8 La contre-course ou la captivité en terre barbaresque est plus riche en récits que la précédente (captivité en terre chrétienne). Cette abondance de récits est due essentiellement à l’intérêt que portaient les pays concernés pour leurs captifs et la chrétienté en particulier. Parmi les organismes voués ou crées aux rachats de captifs, Jean-Claude Laboire visite celui des ordres rédempteurs, les deux exemples les plus connus sont : l’ordre des Trinitaires crée en France en 1198 et celui de La Merci (mercédaire) fondé en 1928 à Barcelone par Pierre Nolasque. Les récits des captifs sont asservis et instrumentalisés par ces ordres pour des fins purement religieuses et idéologiques. La captivité proprement dite est évitée tout au long du récit au profil des autres procédures comme la réintégration du captif dans sa société d’origine. L’un des rares récits est la Fameuse Histoire de la Barbarie du père Pierre Dan où Le captif est entièrement dépouillé de son identité propre. Dans Le Diable Boiteux (1707) de Lesage, les captifs sont assimilés aux prophètes par leur patience de l’esclavage. Le thème de l’exile, de l’esclavage alimente le discours de la prison terrestre, dont la captivité peut apparaître comme une sorte d’épreuve à la quelle le chrétien peut conquérir la liberté et le salut (captif et son libérateur seront sauvés). L’absence du Barbaresque et du renégat est voulue, pour l’église le rachat de ce dernier mettrait en cause la validité de la réinsertion. Et la négligence de la captivité tout au long du récit laisse la place à la mise en scène qui doit produire le désir d’imitation, le centre du récit est donc la relation entre l’auteur et le lecteur entre l’ordonnateur (l’église) et le spectateur.

9Wolfgang Kaiser souligne les rapports intenses entre les deux rives de la méditerranée (rachats) constituent un lieu d’un va et vient permanent entre fiction et expérience réelle. Deux types de récits se manifestent à cette période : les récits de captivité élaborés qui sont prédestinés pour un certain horizon d’attente et dont l’issue de l’histoire est connue. En revanche, d’autres types de récit qui ont des destinataires précis (familles, proches, amis, supérieurs, autorité et institutions) et un objectif claire, mais rédigés dans l’horizon ouvert d’une histoire encore en cours et dont l’issue est incertaine : comme les lettres, mémoires, suppliques ou pétitions. Des lettres aux pétitions collectives, ces textes puisent leur rhétorique persuasive dans l’univers culturel, littéraire et politique de l’époque, ils constituent donc une source fiable pour les historiens.

10Un autre point important abordé par Ernstpeter Ruhe pendant cette contre-course est celui du retour des transfuges. La question de rédemption et de la réinsertion des transfuges dans une société catholique est différente avec une société qui est protestante. L’église catholique qui était souvent présente en terre musulmane, prenait soins de ses captifs, et offrait des services religieux réguliers pour ses sujets, cependant le moment de retour de transfuge catholique est une problématique pour cette dernière. On se posait des questions si le libéré, revenu du l’enfer du monde barbaresque avait renié ou non sa foi et sa religion. Souvent, dans ce cas, le captif est obligé à prouver qu’il est resté fidèle à sa religion, et sera met à des testes de fiabilité de son témoignage et sa confession va connaître les tribunaux inquisitoriaux. Par contre, les cérémonies du retour des captifs germanophones protestants ne sont plus les mêmes avec celles de l’église catholique, le rachat des captifs protestant est d’initiations individuelles, vue l’absence totale de l’église protestante en terre barbaresque. La confession du captif protestant ne connaît pas les mêmes procédures, son inquisiteur est sa propre conscience, et le silence domine souvent sur le retour des captifs protestants. Parmi les cas les plus connus de ces confessions protestantes : celui de Stumer, l’esclave de galère et Oulfs, personnage haut placé dans un entourage d’un Bey. Tous deux renégats et par de simples aveux peu fiables, ces deux captifs semblent en paix avec leur fois et dans les deux récits, on ne trouve plus de trace de problématique religieuse.

11Stanley Fiorini, Godfrey Wttinger et Carmen Depasquale Dans la Deuxième partie de l’ouvrage examinent de près la situation et les aspects de l’esclavage sur l’île de Malte avant et après l’ordre. La valeur géographique de cette île lui a valu plusieurs sièges par l’ennemi turc. Giacomo Bosio note des incursions en (1533, 1540, 1544, 1545, 1546, 1550, 1551 et le grand siège de 1565). Les Maltais se sont engagés en pleine course en ce qui concerne le commerce des esclaves soit sur l’archipel, soit à l’étranger.

12Après l’arrivée de l’ordre en 1530, l’activité corsaire de l’île s’intensifia, les esclaves sont pris en navigant sur les côtes nord-africaines. Les maltais échangeaient avec les marchands nord-africains des esclaves contre des marchandises telles des grains ou des peaux. Différents marchands de plusieurs nationalités (catalans, siciliens) prennent Malte comme base pour avoir accès aux marchés des esclaves noirs et créèrent même des accords avec le Bey de Tunis. Avant l’arrivée de l’ordre, la majorité des esclaves était noire et la plupart de ceux trouvés après sont des maures, turcs, juifs, grecs et autres.

13 Dans la majorité des cas les esclaves sont traités comme des animaux domestique, mais une minorité était bien traitée : elle avait son lieu et son droit de culte, elle était soigné, avait le droit d’accéder à quelques métiers comme barbiers ou cordonniers pour pouvoir payer sa rançon et même se plaindre au près du grand Maître. Elle participait aussi dans diverses festivités comme les courses de cheval monté à cru, elle était aptes à posséder des biens et à en disposer par contrat de vente, et elle pouvait même porter le nom des nobles familles aux quelles, elle avait appartenu. Mais, dans plusieurs cas, des esclaves ont été offert comme cadeaux aux rois et aux personne importantes, l’auteur de l’Almanach de l’ordre de Malte pour 1769 précise que 2500 esclave appartenant au trésors vivaient à Malte.

14Les maltais préféraient plus les esclaves noirs à cause de la facilité de les acquérir surtout qu’à cette époque l’ordre possédait l’archipel maltais et en même temps que Tripoli. Mais dans les registres des baptêmes conservés et qui couvrent une période de 1617 à 1798 montre que le nombre d’esclaves noirs à Malte est inférieur aux autres. Les maltais considéraient que l’esclave turc est le plus dangereux et qui est prêt à se révolter s’il trouvait l’occasion. Après la tentation de Bacha de Rhodes de prendre l’île de Malte avec d’autres esclaves, les anciennes lois de 1613 concernant les déplacements des esclaves furent renforcées, mais le droit de s’unir pour prier ne leur fut pas retiré.

15La troisième partie est consacrée à la littérature de captivité dans trois pays méditerranéens (Italie, Espagne, France). La menace des pirates barbaresque a eu un écho dans plusieurs littératures européennes. Meriem-Faten Dhouib nous offre l’exemple de Torghoud Reis connu sous le nom de Dragut qui a été le personnage barbaresque principal dans la littérature de captivité italienne de l’époque à l’image de Kheredine connu sous le nom de Barberousse. Dragut2 est souvent lié au barbaresque cruel, très souvent associé au terme sarrasin ou mahomet. Il est présent chez plusieurs auteurs du XVIe siècle comme Leonardo Balbo, Giovanni Andrea di Simone, Paris Mantovano Fortunato, et Giulio Cesare Croce. Ces auteurs insistent souvent sur la violence des corsaires barbaresques, Bandello décrit avec horreur le sort que subissaient les esclaves chrétiens, battus, tués et même coupés en morceaux, et Frederico Faloppa consacre un grand chapitre à la peur suscitée par le turc en méditerranée. Cependant dans les textes de Giovanni Andrea di Simone La Distruzione dilopori le corsaire est présenté comme un homme d’honneur. Et Tasso Tocquato désigne Dragut par le syntagme (Fer Dragutte), le corsaire féroce, il apparaît dans le théâtre du XVIe siècle dans la tragédie de Giulio Cesare où il prend place parmi les damnés éternels. Dragut meurt lors du grand siège de malte en 1565.

16Emilie Picherot évoque le grand intérêt de la littérature espagnole pour le pirate musulman, et elle nous offre comme exemple : la traduction rapide en espagnole de la chronique turque sur la vie de Kheredine Barberousse ou encore les chapitres consacrés aux frères Barberousse dans l’Histoire des rois d’Alger de Diego de Haedo. Parmi les formes littéraires de captivité connues au XVI e siècle en Espagne : Les romances moriscos (morisques) qui sont de l’ordre poétique et symbolique et qui se développe autour des personnages mauresques. Le maure est considéré comme l’ancêtre du nouvel ennemi : le pirate musulman en méditerranée. À la fin du XVIe siècle on voit apparaître d’autres formes de « romances »3 dits de pirates et qui s’inspirent de traditions historique et le contexte historique actuel qui met en seine le pirate musulman. Cette nouvelle guerre de course maritime donne l’occasion aux poètes espagnols de réutiliser le matériau ancien des guerres de Grenades pour l’adapter aux préoccupations de l’époque. La ligne qui divisait l’Espagne entre le monde chrétien et le monde musulman va donner naissance à une autre forme de romance : les Romances Fronterizos (frontières). Les incursions de l’autre côté de la frontière trouvent des échos chez plusieurs poètes comme dans le « Romance de la Predida de Ben Zulema » qui décrit la peur qu’inspirent ces incursions maures en terre chrétienne. Le pirate du XVI siècle a directement hérité de toutes les caractéristiques de son cousin de Grenade : il fait peur, il est cruel et victorieux et si le cheval andalou était l’un des symboles de l’appartenance à la communauté musulmane, la galère prend le relais avec les musulmans pirates.

17Parmi les récits les plus connus en Espagne Anne Duprat s’attaque à La fiction de la captivité de Cervantès, l’un des retours d’Alger en Espagne. Les récits de captivité de ce dernier deviennent les modèles de fiction et d’expérience de captivité en Europe entre la fin du XVI e siècle et le début du XVIIe siècle. Chaque récit de captivité de Cervantès apporte la même histoire : celle d’un captif qui n’abandonnera jamais l’espoir de recouvrer la liberté et qui risque tous les châtiments de la tentation d’évasion de la captivité barbaresque à plusieurs reprises, et qui ne cède jamais à la tentation de l’apostasie ou du mensonge. Les textes de Cervantès servent une vérité supérieure (la chrétienté) à travers l’épreuve de la captivité surtout dans la troisième période de sa vie où l’expérience personnelle s’éloigne au dépend des fins communautaires, commerciales, religieuses et privées. Et parmi les caractéristiques de la narration chez Cervantès est le brouillage des frontière entre vérité et illusion, et ce n’en est qu’une réponse et une réaction à un monde violent, sans issues et l’illusion devient seule et unique perception d’une réalité complexe et éclatée et cruelle.

18La captivité va connaître une autre dimension (toujours en Espagne) dans les premières années du XVIIe. Christian Zonza s’intéresse au cas de Du Lisdam qui met le roman de la captivité au cœur de sa réflexion philosophique et surtout religieuse. Pour Du Lisdam la fiction ou la subjectivité et l’Histoire sont complémentaires et se servent mutuellement, il pose souvent le problème de limite entre fiction et vérité. La fiction (le roman) vient comme réponse à la difficulté de la connaissance des faits historiques et les frontières entre roman et histoire sont embrouillées. Dans ses deux romans les plus connus : (Les fidèles et constantes amours de Lisdamas et de Cléonimphe 1615, et Les saintes inconstante de Léopolde et Lindarache 1619) Du Lisdam va de la fiction à l’Histoire, du roman à valeur historique en histoire à valeur romanesque, il met au centre de son œuvre le discours et la parole qui permettent d’oublier la distance entre l’auteur et le lecteur et rend véridique le témoignage. Lisdamas et Cléonimphe commence comme un roman et finit comme un roman, mais le centre du récit est occupé par les aventures qui relèvent de l’histoire et de récit de captivité. Il se sert de la captivité quelque soit amoureuse (pour Du Lisdam, il y a pas pire que la captivité des âmes, et l’amour terrestre est la vraie captivité) ou barbaresque pour construire un discours religieux qui entend séduire le lecteur. Et le but ultime de Du Lisdam est de glorifier certaines figures divines ( dieu, la vierge, les saints, le christ), célébrer l’amour divin et enfin célébrer la liberté de l’homme, et la captivité ( quelque soit volontaire « l’ermitage » ou pas) est un moyen d’atteindre cette liberté et cet amour divin.

19La dernière brève partie est consacrée par Rachel Lauthelier-Mourier aux vraies et fausses captives dans le roman et le théâtre français de la première moitié du XVIIe siècle. Des récits de femmes ravies, enlevées et voilées qui s’achèvent soit par la libération ou le suicide au nom de la pudeur, de l’honneur et de la foi. C’est une captivité souvent héroïque et triomphale qui constitue l’un des thèmes les plus visités de la littérature baroque. Et parmi ces femmes les plus célébrées : Sophonisbe, Cléopâtre, Marianne et Panthée qui sont dans la majorité des cas victimes de l’amour et de la politique antique envers la femme. Et la polysémie du terme captivité se nourris souvent de récits réels de captivité, ceux des chrétiens pris par les infidèles.

20  Cet ouvrage propose donc une large conception de la captivité (Histoire et récits) en méditerranée qui ne se résume pas uniquement de regarder avec une objectivité maximale les rapports violents entre les deux grandes puissances maritimes de l’époque, mais aussi de comprendre l’extrême solitude du captif pendant son exil forcé, où il est exposé continuellement à la mort et à la servitude, et s’il s’échappait, son retour à la vie normale ne serait non point facile, mais problématique vu que l’affrontement entre les deux bloc est de nature religieuse, et où l’individu n’a point de liberté et de parole. Et comme unique solution, le captif à l’image de Cervantès confronté à la dure réalité de son vécu en terre barbaresque et son retour douteux aux yeux de l’église, préfère s’échapper de toutes les natures de captivité par le récit.

21Signalons pour finir que l’ouvrage s’achève par une très utile bibliographie en plusieurs langues, avec les archives divers de Malte et de plusieurs pays européens et quelques fictions de captifs nées pendant cette époque là.