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De l’imitation à la fraude : perspectives sur le « faux » dans les arts (Journée doctorale du LASLAR, Caen)

De l’imitation à la fraude : perspectives sur le « faux » dans les arts (Journée doctorale du LASLAR, Caen)

Publié le par Marc Escola (Source : Mathilde Havret)

Appel à communications

– Journée doctorale du LASLAR (Université de Caen) –

Vendredi 31 mai 2024

De l’imitation à la fraude : perspectives sur le « faux » dans les arts

Pour notre prochain rendez-vous annuel de la journée des doctorants du LASLAR, nous avons choisi d'explorer la complexité de la notion du faux dans les arts. Imiter, copier, falsifier – ces actions suscitent une réflexion profonde sur notre rapport à l'authenticité. Bien que le terme "faux" soit souvent connoté négativement de nos jours, il requiert néanmoins un ensemble de compétences techniques tout aussi élevées, voire supérieures, chez celui qui copie que chez l'auteur original. Copier ou détourner une œuvre, c'est aussi reconnaître la valeur du modèle dont on s'inspire.

La notion d’imitation ne revêt pas les mêmes enjeux selon l’art considéré. Une performance artistique reste marquée par la personnalité de son interprète et ne peut être reproduite à l’identique. Plusieurs modes d’expression artistique permettent depuis longtemps de produire des multiples d’une même œuvre : gravure, photographie, sculpture à la fonte... Pourtant les pièces ainsi produites restent considérées comme authentiques.

Cette approche soulève des questions fondamentales sur notre perception contemporaine de l'œuvre d'art en tant qu'entité unique et singulière, et par extension, sur la définition même de l'art.

Nous vous proposons d’approfondir cette réflexion selon trois axes de recherches : 

Axe I : De l’imitatio des Anciens à l’esthétique postmoderne : paradigmes de l’imitation.

L’œuvre d’art est souvent pensée comme relevant de l’unique, voire de l’inimitable. Pourtant, l’imitation est au cœur de la création artistique depuis l’Antiquité, comme le montre bien la mimésis d’Aristote. Pour les Anciens, l’imitation est considérée comme bénéfique, si ce n’est même nécessaire, au processus de création. Ainsi dans le De Invetione, Cicéron invite à adopter la démarche du peintre Zeuxis, c’est-à-dire à s’inspirer de différents modèles pour imiter ce qu’ils ont de meilleur. Chez les auteurs classiques, l’imitation n’est pas perçue comme servile, mais au contraire féconde. La question qui se pose n’est pas tant celle de la validité de la pratique de l’imitation, mais de sa qualité, au point que Northrop Frye déclare, dans son Anatomie de la critique, que « la seule différence qui existe entre un poème original et un poète imitateur c’est que l’imitation du premier a été plus profondément réfléchie [i]».

À partir du XVIIIe siècle, on souligne de plus en plus l’importance du génie personnel chez un artiste. De nombreux romantiques valorisent ainsi la recherche de l’originalité contre les conventions classiques de l’imitation. Ce rejet de l’imitation se poursuit à l’époque moderne, notamment à travers le développement de différents courants artistiques comme l’abstraction, le cubisme, le surréalisme ou encore l’Oulipo.

À l’ère de la postmodernité, qui se définit notamment comme une esthétique de la répétition avec une différence[ii], le statut de l’imitation dans les arts est encore appelé à évoluer. Ainsi, de nombreux artistes postmodernes produisent des imitations dont la différence avec le modèle est à la fois sensible et hautement signifiante. On peut ainsi penser aux multiples réécritures qui opèrent une relecture de grandes œuvres canoniques depuis le point de vue d’un personnage secondaire, voire marginal, ou encore à certaines œuvres du street artist Banksy, comme Show me the Monet (2005), où l’étang des célèbres Nymphéas se retrouve pollué par les débris de notre société de consommation.

Les communicants sont invités à réfléchir sur la façon dont ces paradigmes se construisent et évoluent, ainsi que sur la manière dont ils modélisent la création artistique, dans une perspective qui pourra être diachronique ou synchronique.

Axe II : Jouer le faux : revendiquer et subvertir.

Le « faux » peut ne pas chercher à tromper, mais relever du jeu. Ainsi, les genres de la parodie et du pastiche s’inscrivent dans une dimension ludique, tout en témoignant du succès de l’œuvre première. On peut penser aux théâtres des XVIIe et XVIIIe siècles qui, ne bénéficiant pas d’un privilège royal, consacrent une grande partie de leur répertoire à la parodie des grandes pièces à succès des théâtres officiels, ou aux pastiches de Proust, qui s’amuse à copier les grands auteurs canoniques. Dans les beaux-arts, trompe-l’œil et anamorphoses cherchent à créer une illusion de réalité saisissante en exploitant les jeux de perspective, les ombres et les lumières. Ainsi le Suisse Felice Varini transforme-t-il les espaces architecturaux et joue avec la perspective en y insérant des anamorphoses colorées. Toutes ces différentes formes d’arts relèvent de l’imitation et instaurent un jeu avec leur récepteur, qu’elles ne trompent que pour le plaisir carnavalesque d’une illusion momentanée.

Ce jeu carnavalesque peut également s’appréhender dans une perspective thématique. On trouve en littérature bien des exemples de personnages trompeurs, déguisés ou travestis, et ces différents motifs sont souvent magistralement mis en abîme dans les créations théâtrales ou cinématographiques. On peut notamment penser au théâtre shakespearien, où le travestissement des acteurs, tous masculins, mais qui interprètent parfois des personnages féminins eux-mêmes travestis, constitue un motif récurrent, ou encore à Some like it hot (Billy Wilder, 1959), pastiche de film de gangsters où le travestissement en femmes des deux protagonistes constitue l’intrigue même et génère le comique de situation. Si, au-delà du camouflage ou du comportement déviant, le travestissement peut constituer pour le créateur une pratique ludique, il peut aussi être le moyen d’interroger des problématiques complexes à plusieurs niveaux, notamment dans le domaine des Gender Studies

Cet axe invite ainsi les doctorants à s’intéresser aux abondantes manifestations ludiques et carnavalesques du faux et de l’imitation dans les arts, dans une perspective générique ou thématique. 

Axe III : Tromper n’est pas jouer, le faux comme une fraude.

Les modalités du faux varient entre la contrefaçon intentionnelle, la falsification de l'authenticité, ou encore la reproduction non autorisée d'œuvres protégées par des droits d'auteur. En littérature on ne compte plus le nombre d’œuvres pseudépigraphes. Dans le domaine des beaux-arts, le faussaire est à la fois un expert admiré pour ses compétences et un escroc méprisé.

Où situer la frontière entre la copie fidèle et le faux ? Copier demeure un moyen fondamental de transmission des connaissances et des techniques, comme en témoigne l'apprentissage du dessin à travers la reproduction des œuvres des maîtres. Ces copies jouent un rôle non seulement d'exercice, mais aussi de témoignage lorsque les originaux sont perdus ou endommagés.

De nombreux artistes talentueux ont été sollicités pour produire des copies ou des imitations d'œuvres d'art célèbres, pour satisfaire de riches mécènes ou remplacer des originaux perdus ou abîmés. Ces reproductions, parfois si habilement réalisées qu'elles trompaient même les connaisseurs les plus avisés, mettaient en lumière le talent technique des artistes copistes et la capacité de l'art à brouiller les frontières entre réalité et illusion. L’artiste américaine Elaine Sturtevant renouvelle le rapport au droit d’auteur en exécutant de mémoire des répliques détaillées d’œuvres majeures d’artistes contemporains, interrogeant le concept d’original et de copie.

Au contraire des exemples précédents, le plagiat est une pratique frauduleuse qui menace l'intégrité de la création artistique, impliquant la reproduction non autorisée d'œuvres existantes par ignorance, manque de créativité ou pur opportunisme. Il prive les artistes originaux de leur reconnaissance et de leurs revenus légitimes, tout en sapant la confiance du public dans l'authenticité des œuvres d'art. Ce phénomène est désormais associé au piratage, posant des défis nouveaux à la protection de la propriété intellectuelle. Grâce aux technologies numériques, il est plus facile que jamais de copier, modifier et distribuer des œuvres artistiques sans autorisation, soulevant des questions complexes sur les droits d'auteur, l'accès à la culture et la responsabilité des plateformes en ligne dans la lutte contre la contrefaçon et la diffusion illégale d'œuvres protégées (autant de pratiques qui peuvent elles-mêmes potentiellement devenir le sujet d’œuvres nouvelles).

Cet axe invite les doctorants à réfléchir sur le concept d’authenticité, de propriété intellectuelle et sur la limite entre l’hommage et le piratage.

Modalités de soumission :

Les propositions, d’environ 3000 signes (une page), accompagnées d’une courte biographie, devront être adressées pour le 1er avril 2024 aux adresses suivantes :

vassiliki.cyrille-lytras01@unicaen.fr          mathildehavret@gmail.com           daphne.ledigarcher@unicaen.fr

Chaque intervention durera environ vingt minutes et sera suivie d’un temps d’échange. Ces modalités peuvent varier ultérieurement, en fonction du nombre d’interventions.

Les propositions retenues seront annoncées le 8 avril 2024.

Nous aurons le plaisir d’entendre les communications le 31 mai 2024 dans la salle des Actes de la MRSH (Campus 1) de l’Université de Caen Normandie à partir de 9h.

Comité scientifique et organisation :

Vassiliki Cyrille-Lytras, Mathilde Havret et Daphné Le Digarcher Doublet (doctorantes du LASLAR).

Bibliographie indicative :

ARON, Paul, Histoire du pastiche, Paris, Presses Universitaires de France, 2008.

ARNAU, Frank, L'Art des faussaires et les faussaires de l'art, Laffont, Paris, 1960.

BAYARD, Pierre, Le plagiat par anticipation, Les Editions de Minuit, 2009.

BAZIN, Germain, « ART (L'art et son objet) - Le faux en art [en ligne] ». In Encyclopædia Universalis [s.d.]. Disponible sur : https://www-universalis-edu-com.ezproxy.normandie-univ.fr/encyclopedie/art-l-art-et-son-objet-le-faux-en-art/ (consulté le 1 mars 2024)

COMPAGNON, Antoine, La seconde main: ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979.

DECOUT, Maxime, Qui a peur de l’imitation ?, Paris, Éditions de Minuit, 2017. 

ECO, Umberto, La guerre du faux, Paris, Bernard Grasset, 2008.

GENETTE, Gérard, Palimpsestes: la littérature au second degré. Paris, Seuil, 1982.

HUTCHEON, Linda, A Poetics of Postmodernism: History, Theory, Fiction. New York: Routledge, 1988.

___________ "Ironie et parodie: stratégie et structure." trad. Ph. Hamon, 1978.

LEDUC, Guyonne (dir.), Travestissement féminin et liberté(s), Paris ; Budapest ; Kinshasa (etc.) : l'Harmattan, 2006.

LELEVÉ, Loïse, « Feindre de croire aux balivernes ». Faux et faussaires dans le roman européen contemporain, de la postmodernité à l’ère de la post-vérité. Thèse de doctorat, Université Rennes 2, 2022.

________ « Fictions de l’énigme : vers une poétique du faux tableau. » in Revue de littérature comparée, 2016, no 1, p. 47-61.

MECKE, Jochen, DONNARIEIX, Anne-Sophie (dir.), Littératures du faux, Berlin, Peter Lang, 2023. 

QUATREMERE DE QUINCY, Antoine, De l’imitation, Bruxelles, AAM, 1980 (1802).

ROMANSKI, Philippe, SY-WONYU, Aïssatou (dir.), Trompe(-)l’oeil. Imitation et Falsification, Rouen, PUR, 2002.  

 
[i] Frye, Northrop. Anatomie de la critique. Traduit par Guy Durand. Paris, Gallimard, 1957, p. 122.
[ii] Hutcheon, Linda. A Poetics of Postmodernism: History, Theory, Fiction. New York, Routledge, 1988.